Je ne le croisai pas de la matinée mais son visage ne quitta pas mon esprit. Malgré moi, mes pensées finissaient toujours par divaguer dans sa direction. Je ne m'intéressais pas à lui comme à un garçon qui me plaisait, mais plutôt comme un enquêteur s'intéresse au criminel... D'une certaine façon. Du moins, je l'espérais. Dès que chaque cours prenait fin, je me précipitais dans les couloirs dans l'espoir de le voir. Si je ne le faisais pas, Birdie, toute aussi excitée par cette histoire, s'en chargeait à ma place.
— Bon alors raconte moi, tu l'as revu ? me demanda t-elle en posant son plateau sur une table.
— Non et c'est très bien comme ça. Ce n'est pas comme si j'avais fini au poste de police à cause de lui.
— Peut être mais la police ne t'a rien fait. C'est quand même dingue qu'il soit dans le même lycée que toi ! Si ça se trouve, il s'est inscrit ici parce qu'il savait que tu y étais aussi, qui sait ?
.— Tu délires. De toute façon je ne compte pas m'approcher de lui donc l'affaire est close, bougonnai-je. Tiens, qu'as-tu fais cet été ?
Elle m'ignora complètement et continua dans sa lancée, soudainement très inspirée.
— Bon écoute, voilà ce que tu vas faire. Premièrement, tu vas aller lui parler et lui exiger des explications. S'il refuse de t'en donner, tu le menaces d'aller le dénoncer à la police. Ensuite, si c'est un gentil garçon, tu fais ami-ami avec lui. Si c'est un méchant garçon, c'est encore mieux : tu me l'amènes et je lui botterais les fesses. Tu as compris ?
Je levai les yeux au ciel, fatiguée.
— C'est hors de question. Je ne m'approcherais pas de lui, tu entends ?
— Peu importe. Tu iras toute seule vers lui, tu verras, se contente t-elle de répondre en fourrant une bouchée de pâtes dans sa bouche.
— C'est ça.
Toute cette préoccupation m'avait ouvert l'appêtit et je vidai mon assiette en quelques secondes. Il n'était pas question que j'aille volontairement parler à Rixon. Peut être le laisserais-je éventuellement venir à moi s'il se décidait à faire le premier pas - enfin techniquement, le second - , mais moi, je ne le ferais pas. En plus, je doutais fortement que Rixon était son vrai prénom. C'était probablement un surnom pour jouer les gros durs et pour impressioner les gens. Dommage pour lui, il ne m'impressionnait pas. Du moins, c'était ce dont j'essayais de me convaincre.
Notre déjeuner terminé, nous quittâmes la cantine pour aller s'installer dans une salle de classe vide afin de continuer notre discussion tranquillement. Par bonheur, Birdie ne fit plus allusion à Rixon et je la remerciai silencieusement pour cela. Nous discutâmes de nos vacances et elle me raconta ses aventures d'été. Comme je m'y attendais, elle avait fait d'innombrables rencontres et s'était éclatée à fond. Quant à moi, j'avais passé un mois et vingt jours à la maison, à attendre mes résultats d'examens médicaux. Par chance, ils s'étaient avérés positifs ce qui m'avait permis de passer les quelques jours restants loin de chez moi, quelque part près de la plage. J'avais entièrement passé ces quelques jours sur le sable à écouter de la musique et à lire des romans classiques. Comme ça, j'aurais au moins le mérite de mourir cultivée.
La pause déjeuner finit par s'achever et nous dûmes nous séparer pour aller en cours. Ma meilleure amie se rendit en cours de littérature tandis que j'allais en sciences. Seule, je m'installai au dernier rang, prête à utiliser cette heure pour faire une bonne sieste. Je lançai maladroitement mon sac sur la chaise voisine et fis malencontreusement tomber tout son contenu par terre. Immédiatement, une silhouette se baissa et me ramassa mes cahiers sans que je n'eusse à le lui demander. Lorsqu'elle se releva et me tendit mes affaires, j'eus envie de disparaître six pieds sous terre.
— Comme on se retrouve, fit Rixon, un sourire aux lèvres. Tu permets que je m'installe ici ?
Il me désigna la place libre à côté de moi, le regard insistant. En soupirant, je lui pris mes cahiers des mains et haussai les épaules d'un air que j'espérais détendu. De toute façon, quoi que je dise, il s'installerait quand même ici. Autant ne pas gaspiller ma salive pour lui. Triomphant, il s'assit sur sa chaise et se tourna vers moi, près à engager la conversation. Je fis mine de ne pas m'en apercevoir et me baissai pour ranger mes affaires dans mon sac. Lorsque je me relevai, il me regardait toujours.
— Tu ne peux pas m'éviter indéfiniment. Autant régler nos problèmes maintenant.
Je l'ignorai et me concentrai tant bien que mal sur le cours de sciences.
— Ce qui s'est passé hier était un malentendu, continua t-il, borné de la tête aux pieds.
— Un malentendu ? Sérieusement? Tu me braques avec un pistolet et tu justifies ton acte comme étant un malentendu ?
— Il était en plastique, insista t-il l'air innocent.
J'eus envie de le gifler. Me revint soudainement en mémoire les conseils que ma meilleure amie m'avait donné. « Premièrement, tu vas aller lui parler et lui exiger des explications. S'il refuse de t'en donner, tu le menaces d'aller le dénoncer à la police. » Merci Birdie. Finalement, je vais peut être t'écouter.
— Passons. Que diable faisais-tu dans cette bijouterie ? Et pourquoi es-tu entré dans ma voiture ? Oh et pendant qu'on y est, pourquoi étudies-tu dans mon lycée ?
Sans m'en apercevoir, j'avais crié un peu trop fort en posant cette dernière question. Madame Martin, la professeur de sciences, se tourna vers moi en me faisant les gros yeux et je baissai les miens en priant pour qu'elle me laisse tranquille. Décidemment, je ne cessai de me faire remarquer à cause de Rixon, aujourd'hui : ce garçon ne m'apportait que des ennuis. Ignorant la professeure, ce dernier me répondit d'un air innocent.
— Tout simplement parce que ta voiture n'était pas verrouillée. Penses à le faire dans le futur, si tu ne veux pas que quelque chose comme ça se reproduise à nouveau !
Je lui jetai un regard noir.
— Tu n'as pas répondu à ma première question.
Il ne répondit pas immédiatement et croisa ses doigts sur sa table. Plissant les lèvres, il me fixa, le visage fermé et l'expression grave.
— J'ai besoin d'argent. J'ai eu des problèmes de santé, trop chers pour les salaires de mes parents. Enfin, de mon père je veux dire. Ma mère est partie il y a deux ans et je n'ai plus eu de nouvelles d'elle. Depuis, mon père m'élève seul avec mon petit frère et quelque fois, ça n'est pas assez. Donc tu vois, je fais comme je peux.
Ben tiens, je m'attendais à tout sauf à ça. Interdite, je ne sus que lui répondre et me contentai de le dévisager, la bouche à demi-ouverte. Finalement, il n'était peut être pas aussi abruti qu'il en avait l'air. Il se pouvait même qu'on se ressembla plus qu'il n'y paraisse. Je me demandais quels problèmes de santé il avait. Était-ce une maladie incurable comme la mienne ? Au fond de moi, je l'espérais un peu. Non pas que je souhaitais sa mort, mais cela pourrait peut être aider à l'apprécier plus que je ne le détestais. Son explication m'avait retourné l'esprit car lorsque je lui avais posé la question, j'étais pourtant sûre de recevoir une réponse sarcastique.
— Je... Ça n'excuse pas tes actes. Tout le monde a ses malheurs personnels et tout le monde ne commet pas de crimes. Si je devais tuer quelqu'un pour chaque malheur qui me tombait dessus, j'aurais déjà assassiné une nation entière, finis-je par dire en connaissance de cause.
Je lui adressai un sourire triste et me détournai de lui, mélangée. Je ne savais que penser : au final, était-il un gentil garçon ou un méchant ? Peu importe, je m'étais promis de le détester, ce qui devait régler le problème. Ce n'était pas une petite discussion qui allait changer mon opinion de lui.
Nous ne nous adressâmes plus la parole jusqu'à ce que le cours se termine. Étais-je en train de le prendre en pitié ? Ça en avait tout l'air. Ma grande et habituelle bonté refaisait surface et m'empêchait de le haïr autant que j'en avais envie, ce qui m'irritait.
Avant de quitter la salle, il fourra ses affaires dans son sac d'un geste mécanique et le jeta sur ma table, l'air d'attendre quelque chose. Je levai les yeux vers lui, exaspérée et il me fit un clin d'oeil, l'air malicieux.
— Et princesse, ne crois pas à toutes les histoires tristes qu'on te raconte.
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a thousand fireflies
Teen Fiction« Je n'avais jamais réalisé à quel point la vie était fragile. Qu'elle pouvait s'arrêter à tout instant, que tout ce qui la représentait pouvait disparaître soudainement. Que c'était un cadeau qu'il ne fallait pas gâcher, le cadeau le plus cher qui...