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Nouvelle journée, Nell tombe du lit alors que j'essaie d'attraper mon mobile pour en désactiver l'alarme.
Il quitte le sol pour m'écraser de tout son poids, c'est sa fameuse technique du câlin vengeur. Ça m'arrive de me demander quel âge il a, mentalement parlant. J'ai de sérieux doutes.

- B'jour.

- Et articulé, ça donne quoi ?

- Meurs.

- Bonjour à toi aussi.

Nell se décale enfin pour me permettre de respirer. Je ris quand nos regards encore endormis se croisent dans la semi-pénombre qui règne encore dans ma chambre.
Ça peut paraître troublant le fait de nous voir dormir ensemble. Mais, ma famille n'a aucune crainte à avoir. Je connais Nell depuis que je suis toute petite, notre relation n'a jamais dépasser le stade du platonique. Et ce malgré toutes les ambiguïtés dont nous sommes victimes.

- On fait quoi aujourd'hui ?

- On commence par aller en cours.

- C'est tout ? Décevant...

- J'ai bien dit "on commence" et après on trouvera bien quoi faire.

- Genre demander à ton râleur de frère de nous emmener manger un Kebab ?

- Tu ne penses qu'à manger ! Comment tu fais pour rester aussi mince ?

- Ça s'appelle "un talent".

On rit encore un peu en continuant à se chamailler pour rien. Les deux orbes marron qui lui servent de pupilles scannent l'écran de son téléphone pendant qu'il me raconte une anecdote, surnommée "ragot", sur une fille de notre classe dont le prénom ne me dit rien du tout.
De toute manière, je n'ai jamais été une personne adepte des relations humaines. Mon ami le plus proche est Nell. Les autres personnes, à qui j'adresse un temps soit peu la parole, sont reléguées au rang de connaissances. M'ouvrir aux autres est une crainte que je ne me cache pas de nourrir. Je ne veux pas en faire trop ou me retrouver déçue par mes rencontres. Alors, je m'accroche à Nell et envoie de vagues sourires aux autres.

Au bout d'un moment, le temps se fait court et il devient impératif qu'on aille se préparer pour aller en cours. Je laisse mon ami passer sous la douche avant moi, car il paraît que je mets trop de temps sous celle-ci à l'avis général. Après tout, une belle peau ça s'entretient, mais évidemment très peu de gens le savent. 

- Vous ne mangez pas ?

- Non maman, on va prendre un truc devant. Sinon on va être en retard. À toute.

- Que les ancêtres veillent sur toi.

J'embrasse sa joue ronde avant de m'engouffrer dans le couloir, imitée par Nell qui lance un dernier au-revoir à ma famille.
Comme toujours Dan a passé la nuit dehors, on ne sait où. Il nous fait le coup à chaque fois. Maman prie toujours pour qu'on ne le retrouve pas mort ou incarcéré. Moi, je me dis que ça lui apprendra à vouloir cracher sur ce qu'on lui offre pour s'entêter à suivre les folies que lui dictent son imagination et son ambition démesurée.

Avec cette chance qui nous colle à la peau, Nell et moi réussissons à passer le portail sans encombres. Juste avec un malheureux avertissement que nos surveillants en cruel manque d'autorité auront tôt fait d'oublier.

Je m'assois à ma place habituelle, deuxième rang sur quatre à la troisième table. Nell est juste à côté de moi, à gauche. Et à ma droite, il y a Carly, énième métisse du bahut parmi les centaines que l'on en dénombre et dont je fais évidemment partie.
Gabonaise et Sénégalaise, le mélange le plus explosif connu à ce jour. Et il a fallut que j'en sois la digne représentante.

Notre professeur de ce matin, si j'en crois mon emploi du temps que personne ne respecte depuis le début de l'année, est celui de français. Seule matière encore pourvue d'intérêt. Le commentaire de texte et la lecture méthodique me donnent des frissons dans le cou. Malheureusement, avec mon faible niveau de concentration, ce n'est pas sûr que je puisse décrocher un métier dans l'édition. Encore une belle rêverie jetée à la poubelle.

Le professeur fit son entrée quand Nell s'était mis en tête de nous embarquer dans un de ces nombreux délires loufoques de soirée avec un autre mec de ma classe qui répond au doucereux prénom d'Ibrahim. On ne peut pas faire plus cliché pour un malien.
À la stupeur collective, le prof est accompagné par un nouvel arrivant. Bien loin des figures métissées, noires ou arabes dont nous avons l'habitude dans notre petit lycée de banlieue.

Lui, il avait l'air totalement autochtone de ce pays qui nous avait fait grâce de son acceuil. Des yeux gris en amande au dessus d'un petit nez en trompette, le tout finalisé par une belle mâchoire carrée aussi finement tracée que la plus belle des sculptures antiques. Ses fines mèches noires retombaient sur son front dont la peau pâle laissait penser qu'il n'était pas un habitué des balades en été.
Il avait l'air d'un acteur de cinéma, perdu entre les rues dangereuses que nous peuplons. C'était intriguant de croiser une telle beauté comme la sienne dans les parages.

- Donc, nous avons un nouveau venu. Il s'appelle Mattias, faites lui un bon acceuil. C'est bon, vas t'asseoir.

Personne ne répond évidemment. Bien trop subjugués par cette espèce de réincarnation du fils d'Aphrodite, pour certains et n'ayant totalement rien à foutre de ce qui se passe, pour d'autres dont moi.

Le nouveau prend place au fond, près d'un petit groupe de grands renois baraqués dont les traits sont difficilement discernables à cause de leurs peaux frôlant la couleur de l'encre.

J'espère pour lui qu'il s'adaptera vite. Parce qu'ici, tout ce qui ne sait pas faire preuve de jugeote finit manger comme une pauvre graine de riz par le système défectueux qui nous régit.

Mais, ce ne sont pas mes oignons. J'ai autre chose à faire, comme trouver comment convaincre mon teigneux de frère de m'emmener manger un Kebab avec ce disjoncté de Nell.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 25, 2020 ⏰

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