« Allez ! Allez ! Lizzy ! »
Une dizaine de voix poussent des cris à l’unisson. Ce sont mes nouveaux camarades de classe. Je m’appelle Lizzy. Lizzy Roth. Je suis nouvelle dans mon lycée. En fait j’ai déménagé en cours d’année, et du coup je passe pour la nouvelle de service. Parce que oui, quand on arrive normalement au début de l’année, il y a plein de nouveaux donc on est moins remarqué. Moi, par contre … Arriver en mai c’est pas top. J’ai seize ans, au fait. En seconde, donc. Je vis avec ma mère dans une petite maison. Et là, c’était mon premier jour de cours. Assez horrible. On n’a pas arrêté de me dire « T’es nouvelle ? » … Et là on me lance un défi. Je ne sais pas si c’est un truc par lequel tous les nouveaux passent ici, une sorte de bizutage, mais en tout cas je suis dans un lycée de tarés, ça c’est certain. On est sortis des cours il y a un bon moment déjà, mais ils tenaient à me faire visiter un peu la ville. Enfin, « ils », c’est une dizaine de personnes à peu près. Ils ont l’air sympa et j’ai pas envie de passer pour la fille qui veut rien faire dès son premier jour. Voilà donc pourquoi je me retrouve à deux doigts d’entrer dans une maison dite « hantée », toute seule avec mon portable pour filmer. Cette maison me donne des frissons de l’extérieur, mais pas question de montrer que j’ai peur ! C’est bien le genre de truc qu’on pourrait me rappeler jusqu’à la fin de ma scolarité. On me pousse légèrement en avant. Je me retourne. C’est une fille du nom de Vanessa qui me regarde, insistante. Tellement insistante qu’elle me fait presque peur, elle aussi.
« Bon, OK, j’y vais. »
J’essaye d’avoir l’air neutre, complètement blasée, mais j’ai bien peur que mon angoisse se ressente dans ma voix. Je sors mon portable de ma poche, et commence à filmer. Je montre d’abord toutes les personnes qui m’entourent, avec un sourire que j’espère décontracté, avant de faire un pas en avant.
« Vous me jurez que personne n’habite là-dedans ? »
Plusieurs voix me répondent. Je parviens notamment à distinguer un « Non, rien que les fantômes ! ». Haha. En fait je crois aux fantômes. Enfin, ça dépend des cas. Moi aussi je peux faire claquer une porte et dire que c’est un fantôme qui l’a fait.
« Bon … »
J’ouvre le portillon, que j’ai du mal à garder debout d’une seule main. Comme toute la clôture, il est sur le point de s’effondrer. Il paraît que ça fait longtemps que cette maison a été abandonnée. On raconte qu’une famille y vivait autrefois, et que leurs plus jeunes enfants sont morts d’une grave maladie. Le père, qui devait avoir un sérieux problème mental, a ensuite tué son propre fils, le dernier qu’il lui restait. Et pour finir, la mère s’est suicidée, pendue ou tuée avec le fusil de son mari, selon les versions qu’on m’a racontées en chemin. Un truc pas très joyeux quoi. Je ne sais pas si c’est vrai. En tout cas, la maison est dans un sale état. Le toit en ardoise est à moitié effondré. Les tuiles sont arrachées, et certaines traînent même dans le jardin. Celui-ci n’a pas été tondu depuis des années. L’herbe m’arrive aux hanches, et encore, je suis grande. Je crois voir une brouette au loin, mais je n’en suis pas sûre. Il y a également des bouts de bois partout, et je dois donc faire attention où je mets les pieds. Malgré tout, j’essaye de regarder la maison en même temps que je la filme. Je n’ose pas regarder derrière moi. Les murs sont censés être blancs, j’imagine, mais leur couleur tourne plutôt vers le gris avec l’usure. La peinture s’écaille, comme sur les fenêtres d’ailleurs. Les volets sont fermés, d’autres pendent lamentablement aux murs. Tout ici est usé jusqu’à la corde.
J’arrive finalement sur le perron, après avoir monté trois marches. Le sol en parquet grince sous mon poids, et je ne peux m’empêcher de serrer les dents. Il y a un fauteuil à bascule envahit par le lierre, qui semble tellement vieux qu’il pourrait figurer dans un musée. La poignée en fer de la porte semble avoir été forcée à de nombreuses reprises. J’ai à peine à pousser dessus pour que la porte s’ouvre. Je me tourne et me retourne dans la pièce, pour que mon portable enregistre le moindre recoin. En face de moi, il y a un escalier. Il manque certaines marches, et à vrai dire, je ne le sens pas trop. Il y a deux portes, une à ma gauche et une à ma droite. Tout est plongé dans le noir, mais comme il n’est que dix-sept heures, un peu de lumière parvient à éclairer l’endroit, suffisamment en tout cas pour y voir clair. Prudemment, je m’aventure à droite, faisant une nouvelle fois grincer le vieux parquet. C’est une pièce assez grande, avec une table immense au milieu. Elle est entouré de chaises, et dessus il y a tout et n’importe quoi. C’est sans doute une bibliothèque … Ou un bureau … Ou une salle de réunion … Ou … C’est dur à déterminer. Peut-être bien une salle à manger, il y a des assiettes aussi. En tout cas, cet endroit semble désert, et je n’entends aucun bruit. Malgré tout, je sens mon cœur battre la chamade. L’ambiance est vraiment pesante, et ça ne me rassure pas. Je frissonne en sentant un léger courant d’air.
« Nous allons maintenant aller voir l’autre pièce ! » dis-je, comme la voix off des reportages.
C’est un moyen de déstresser. Je reviens donc sur mes pas, les jambes tremblantes, et me dirige vers la porte de gauche. Cette pièce est un parfait contraire à celle d’avant. Ici tout est en ordre, parfaitement rangé, même si le temps semble d’être arrêté depuis soixante-dix ans au moins. C’est un salon, avec de gros canapés et un fauteuil. Il y également une table basse, et plein de tableaux accrochés aux murs. Plus loin, il y a une cheminée. Soudainement, une porte claque et je sursaute. Paniquée, je regarde tout autour de moi, essayant de garder mon sang froid. Mais impossible de rester calme. Avant que je ne puisse réagir, une silhouette apparaît furtivement devant la porte. Petite, c’est tout ce que je peux en retenir. Elle disparait une fraction de seconde plus tard, me laissant le temps de me plaquer contre le mur qui se trouve dans mon dos. Ma respiration se fait haletante, et des larmes coulent sur mes joues. Je garde mes mains serrées contre ma poitrine, sans toutefois cesser de filmer. La silhouette réapparut un peu plus en avant, avant de disparaître à nouveau. Je me serre dans le coin de la pièce, pétrifiée. J’ai pu en distinguer plus cette fois-ci. Elle a des cheveux blonds clairs, assez longs. Je tremble de tous mes membres, j’ai l’impression que mes jambes vont crouler sous mon poids. Ma respiration s’accélère dangereusement, et j’ai l’impression de frôler la crise cardiaque. Mes mains sont toutes moites, et une goutte de sueur dégouline sur mon front. Cette même silhouette réapparaît une dernière fois, une bonne seconde. J’ai le temps de voir son regard froid se poser sur moi avant de courir vers la porte, plus vite que je ne l’ai jamais fait. Je la claque derrière moi, manquant de trébucher, je cours à travers le jardin, je saute par-dessus le portail, je veux aller plus loin encore mais on me retient.
« Lâche-moi ! » m’écris-je en me débattant.
Mais ce n’est qu’un garçon de ma classe dont j’ai oublié le nom. Alors, je cesse de bouger et m’effondre par terre. Je sanglote bruyamment, si bien que tout le monde s’accroupi pour être à ma hauteur.
« Hé, Lizzy ! Ça va ?
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-T’as vu le fantôme ?!
-Pleure pas … »
Toutes ces voix se mélangent dans ma tête, et je ne prends pas la peine de répondre à ces questions. Je laisse une des filles, Lucie, me prendre dans ses bras. Je coupe la vidéo et tente en vain de me calmer.
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Inevitably
ParanormalUn pas, un mot, un geste, et tout bascule. Ils le savent, ils en ont fait les frais.