[30 octobre 1883]

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Aujourd'hui, je devais nettoyer la maison de monsieur Giles et me rendre à la poste.

Monsieur Giles recevait beaucoup de courrier du garde-chasse et de la police.

Je souffla sur la bougie qui était allumée. Je pensais pourtant l'avoir fait en allant me coucher en rentrant de ma sortie nocturne. Je m'habilla rapidement. En enfilant ma chemise, je remarqua que je l'avais trouée. Dans mon dos, au niveau de l'omoplate, se trouvait deux grands trous parallèles, comme des lignes. Je n'aurais pas du sauter de la fenêtre pendant la nuit.

Je faisais le même chemin que plus tôt dans le semaine. Une partie de moi voulait revoir cet Alexis. Peut-être était-ce la façon dont il m'a embrassé ou peut-être était-ce ses yeux vert d'eau. J'étais venu tous les jours de la semaine sur la place, espérant le voir. Mais il n'y était pas.

Une autre partie de moi ne voulait pas le voir. C'était mal. Nous avions fait des choses contre la religion.

Ce qui me rappela ma visite à l'église mardi matin. Il y avait beaucoup de monde et père Victor était surpris de me voir. Je lui avais assuré que monsieur Giles était garant de mon passage. Il m'avait accordé ma matinée pour me rapprocher du Seigneur.

Je descendis péniblement les marches. Il faisait beaucoup plus froid qu'à l'habitude dans la maison. L'hiver s'annonçait rude.

Je trouva monsieur Giles dans son fauteuil en cuir dans le salon.

— Monsieur Giles, je vais chercher votre courrier à la poste.

— Très bien, mon garçon. Ne traînes pas.

Arrivé sur la place, je ne pu m'empêcher d'être distrait : Alexis était là, assis sur la meule de foin en face de la poste.

Il me regardait.

Je ressentais une sensation bizarre dans l'estomac.

Que se passait-il ? Pourquoi devenais-je comme ça quand je le voyais ? Faible... Vulnérable...

— Salut, lança-t-il, nonchalant.

Après l'avoir salué, je rentra dans la poste. Je devais m'éloigner de lui.

Les démons étaient en lui.

Il n'était plus là lorsque je ressorti de la poste, les mains remplies par un dizaine de lettres cachetées.

Je marcha seul vers la maison.

Mais je ne l'était pas pour très longtemps.

— Tu fais quoi ?

— Je rentre chez moi.

— Pourquoi ?

— Parce que, répondis-je froidement.

Il m'arracha une des lettres de monsieur Giles.

— Rends la moi ! Éructais-je.

Je voulu lui reprendre la lettre mais il était plus grand que moi. Il avait une tête en plus que moi. Je me mis sur la pointe des pieds, le bras tendu pour essayer d'atteindre la lettre.

Nos regards se croisèrent.

Il souri avant de baisser son bras. Il ne me rendit pas la lettre pour autant.

— Si tu veux la récupérer, rejoint moi ce soir sur la place.

Avant que je puisse tenter de lui arracher la lettre des mains, il fis demi-tour. Il marchait très vite. En quelques secondes, il était hors de ma vue.

Le soir même, je regardais l'horloge accrochée au mur de ma chambre toutes les minutes. Le temps passait lentement.

Lorsque la petite aiguille indiqua vingt deux heure, j'ouvris ma fenêtre et sauta, cette fois-ci, j'atterris sur mes deux pieds.

— Tu viens ?

Je sursauta. Alexis se révéla d'entre les longues tiges de maïs.

— Je suis là.

On retourna à la vieille grange. On monta à nouveau à l'étage mais cette fois-ci, on s'adossa contre des meules de foins. La paille me chatouillait la nuque.

— Tiens, ta lettre, me dit-il en me tendant le papier jauni.

— Merci.

Il s'approcha doucement, tel un félin chassant sa proie. Avant de m'embrasser. Cette fois-ci, je le laissa faire. J'en avais envie. Je le désirais.

— James.

— Oui ?

— Je t'aime.

J'écarquillai les yeux. Avant de ressentir un manque lorsque ses lèvres me quittèrent.

— Moi aussi. Je t'aime.

Cette nuit, nous avons fait des choses que je n'aurais jamais crues possibles. Mais je me sentais bien, allongé dans la paille, nu, aux côtés de Alexis. Alexis me disait des choses gentilles. Au tout début, je ne l'appréciait point mais désormais, je ne pensais plus qu'à lui. Il me caressa doucement la joue du bout des doigts.

La grange baignait dans une agréable chaleur.

Des lucioles entrèrent par une crevasse dans le vieux bois. Elle projetaient leurs lumières orangées contre les murs de la grange. Elles créaient ainsi un spectacle de lumières en dansant en spirales dans l'obscurité.

Un bruit se fit entendre à l'extérieur de la grange, nous obligeant à nous rhabiller à toute allure. Le bruit était tout proche.

J'estimais sa distance à environ vingt mètres de l'entrée.

— Qu'est ce que c'était ? Demandais-je.

Ma voix tremblait fortement.

— Shhhh...

Il me fit taire en plaquant son doigt contre ma bouche, enfila son pantalon et empoigna le couteau tranchant attaché à sa ceinture.

Je le regarda descendre les marches prudemment. Plus que cinq, trois, une...

Il entrouvrit la porte et passa sa tête.

— Restes ici, je vais vérifier les alentours, chuchota-t-il. J'en ai pour deux minutes.

Il avait parlé tellement bas que les mots m'échappèrent quasiment. Il disparu dans la nuit avant que je ne puisse protester.

Je me sentais affreusement seul dans le silence de la grange. Seul le sifflement du vent venait ça-et-là briser ce silence.

L'angoisse commença à monter lorsque je n'entendit plus les pas d'Alexis.

Je n'arrivais pas à le croire. Il était parti.

Il n'avais même pas prit la peine de prendre sa chemise, ni de me dire au revoir...

Je pris toutes mes affaires avec moi, ainsi que le lettre de monsieur Giles que je plia soigneusement et glissa dans la poche de ma salopette. Dans la main gauche, je tenais fermement la lanterne que j'avais apporté pour éclairer nos discussions et dans la droite, je serrais contre mon cœur la chemise d'Alexis.

En retournant à la maison, le froid glacial me fit pleurer, à moins que ce ne soit l'abandon.

Un autre doute me fouetta.

Et s'il lui était arrivé quelque chose ?

Il avait peut-être une maladie et avait été pris d'une soudaine crise dans le champ. Peut-être était-il en ce moment même en train d'agoniser dans le noir.

Ou peut-être avait-il été kidnappé pour devenir esclave. J'avais entendu que certaines personnes disparaissaient du jour au lendemain et plus jamais personne ne les revoyait.

Je me faufila sous l'épaisse couverture de mon lit et serra sa chemise à carreaux contre moi. L'odeur du musc me rappelait sa chaleur.

J'espérais que l'inconnu allait bien.

Mon inconnu, Alexis...

Knife (A Halloween Love Story)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant