2 - Les fêtes

92 8 1
                                    

Décembre 1969.


Cette fois-ci, Severus était entré dans le parc à l'étang. Il était assis au bord de la petite étendue d'eau sale gelée, enfoncé jusqu'au cou dans son manteau d'hiver trop grand, les pieds balançant au-dessus de la glace. L'herbe trempée lui mouillait le pantalon, mais l'enfant ne sentait le froid qu'au plus profond de ses entrailles. Sa peau ne frissonnait pas, son nez n'était pas congelé, ses lèvres n'étaient pas bleues, mais son cœur était fendillé.

Dehors, il n'y avait pas un souffle de vent, mais le silence sifflait aux oreilles des rares passants. La rue n'était pas morne pourtant. La joie illuminait l'obscurité brumeuse que les réverbères ne parvenaient pas à dissiper. On sentait les chants de Noël sans les entendre, on devinait l'odeur grasse des dindes sans la sentir, l'ambiance était celle d'un 25 décembre. Toute cette joie était étrangère à Severus qui avait la tête vide et pleurait sans s'en rendre compte dans la nuit sombre. Ses parents s'étaient encore disputés.


Eileen, la mère de Severus, avait pris devant son fils la résolution de passer une fête "comme chez les autres" aujourd'hui. Elle voulait passer un meilleur Noël que d'habitude, pas tant pour son fils, finalement, que pour elle-même ; mais cette indifférence faisait partie de ces choses qu'il aurait pu voir mais qu'il ne voyait pas. « Toutes mes amies s'amusent le 25 décembre », avait-elle dit à Severus. Béat d'admiration comme il l'était toujours pour sa mère, le garçon l'avait vue sortir sa baguette et commencer à aménager la pièce miteuse qui servait de lieu de vie commune à la famille Rogue.

Il n'y avait que le salon qui fût miteux. Et la chambre de Severus. La chambre de ses parents était seulement triste, et un peu laissée à l'abandon – il ne le savait pas, mais souvent Eileen dormait seule dans le salon. Sa chambre à lui, Severus, était toute petite et il l'aimait bien, alors il l'avait aménagée joliment avec des objets trouvés dans la rue ou achetés avec le peu d'argent qu'on lui offrait pour son anniversaire. Quant au bureau de Tobias, son père, il l'avait aperçu une fois et il était aussi triste que sa chambre mais en plus chic, plus propre et plus beau. C'était Eileen qui l'entretenait, parfaitement bien car il l'y forçait, et elle ne se donnait jamais la peine d'y mettre des fleurs.

C'était la première fois qu'elle faisait de la magie devant son fils.

Il avait deviné qu'ils n'étaient pas une famille ordinaire progressivement au fil de son enfance ; quand elle leur préparait des plats exceptionnels alors qu'elle n'avait pas fait les courses depuis plusieurs jours, ou quand Tobias avait perdu la voix pendant deux jours juste après que le couple se fut disputé. Severus avait peur des pouvoirs qu'il sentait en lui, cela l'angoissait et le fascinait en même temps d'observer ce qui lui arrivait d'incroyable. Un jour, il avait volé un croissant à la boulangerie de la rue de Rosiers. Le boulanger furieux avait essayé de lui courir après mais l'enfant, sans savoir comment, s'était soudain retrouvé transporté devant chez lui, hors de portée de l'homme en colère. C'était comme la fois où une petite reinette était allée lui chercher une pièce de 50 pence qu'il apercevait au fond de l'étang, ou la fois où le sac à main de la petite quinquagénaire de l'avenue George Sand qui l'insultait dès qu'elle le voyait s'était déchiré par un hasard étrangement satisfaisant. Ce n'était pas encore très clair, mais Severus avait compris que sa famille était plus ou moins une famille de magiciens. Comme dans les contes. Et il pensait qu'un jour, on lui en parlerait enfin.

Et là, sa mère lui avait montré clairement ses pouvoirs. Le garçon avait contemplé, impressionné, la baguette courte, mince et torsadée en bois grisâtre dont jaillissait une lumière blanche tandis que se déroulaient les guirlandes et que poussait le sapin. En quelques minutes, avec un carton rempli de décorations d'occasion et une petite pousse d'arbre trouvée dans le parc, Eileen avait créé une ambiance sobrement festive. Severus aurait bien voulu l'aider mais il n'avait pas osé le demander et était resté assis dans son coin en se faisant oublié et en observant tout, comme il en avait l'habitude. Des étoiles dans les yeux, il regardait celles qui jaillissaient de la baguette de sa mère. Il pensait qu'un jour, il serait capable de... de tout ça. Ça avait l'air tellement simple.

SEVERUS ROGUE : Le sens d'une vie (ENFANCE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant