« Tu as un rêve ?
— Un rêve ?
— Ouais. Un truc. N'importe quoi.
— Ce que je veux ?
— Vraiment tout ce que tu veux. »____
La neige a recouvert le jardin. Ils se sont faufilés dans la cours du petit studio, en veillant à ne pas être surpris. C'est un peu maladroit, confus, mais ils sont là et Erza a les clés. Un sourire un peu plus appuyé que d'habitude, qui trahit sa timidité nouvelle, et elle ouvre les portes. L'alarme est éteinte. Il fait nuit. La pièce baignée dans une flaque de lumière blanche, un peu laiteuse. Tout lui paraît bouleversé, parce que ça fait une éternité qu'elle n'est pas venue. Sa carrière l'a transportée si loin de son village natal.
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« Te voir réaliser le tien !
— Mais ! Ça ne peut pas compter !
— Pourquoi ?
— Tu devrais avoir tes propres ambitions.
— J'aime les choses... simples.
— Tu ne veux pas te mouiller oui. »____
Pourtant, rien a changé. Pratiquement rien. Il y a toujours les miroirs, la barre, le parquet de bois et ce magnifique piano. L'instrument dévoile la peau fragile de son dos, une mince paroi en bois clair. La table d'harmonie est à nu. C'est une planche taillée dans un épicéa de Bellum, traversée de barres diagonales en bois massif. Il est resplendissant, installé ainsi à la perpendiculaire d'un mur. Erza l'observe à la dérobée, le cœur battant à tout rompre.
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« Puisque c'est comme ça... alors mon rêve, c'est aussi de te voir réaliser le tien !
— Hé ! Tu peux pas lâcher ton projet comme ça. Tu as travaillé si dur.
— Je ne veux pas partir. »____
Pour la première fois depuis dix ans, elle voit Gerald s'installer au clavier. Une confiance qu'elle n'a pas connu chez lui, enfant, émane désormais de ses mouvements. Il n'a pas peur. Peut-être que le verre qu'ils ont pris au bar, plus tôt, l'a aidé à se sentir aussi détendu. Mais ce n'est pas important. Il l'invite à faire le tour. Elle contourne l'instrument, presque pieusement, et disparaît derrière sans un bruit. La quiétude de la salle est rompue par leurs souffles chauds.
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« Pourquoi ?
— Parce que c'est chez moi, ici ! Et que j'ai peur. J'ai peur de pas réussir, de me retrouver seule, de tout gâcher.
— Erza, doucement »____
Ses doigts se posent à plat sur le bois, sur le sommet du piano ; il est tiède, malgré la fraîcheur. D'un geste sûr, maîtrisé, Gerald fait résonner l'instrument. Ainsi debout à côté de cette œuvre, elle se sent indiscrète, comme si elle était derrière une porte. Une sensation d'écouter derrière celle-ci. Sa peau picote, autant par la mélodie qui commence que les vibrations. Elles irradient ses doigts, franchissent le poignet, remontent doucement vers son coude, passent, maintenant affaiblies, dans l'épaule pour mourir dans sa poitrine, là où le muscle si vivace est comme sur le point d'exploser. C'est intense. Erza sent parfaitement dans ses mains la moindre exclamation du piano. Mais aussi quand il ralentit. S'adoucit. Elle fait glisser ses paumes sur la planche, dans l'intervalle oblique des barres. Les frémissements du bois sont aussi exaltants que ceux qu'elle ressent quand elle danse sur la scène.
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« Je suis sûr que tout va très bien se passer.
— Comment tu peux être certain de ça ?
— Je n'ai jamais vu quelqu'un te détester.
— Ici tout le monde se connait ! Là-bas, je-
— Tu vas tout déchirer.
— Je ne vois pas comment alors que tu n'es pas là. »____
Erza sent comme des fourmis dans ses jambes. Un besoin impérieux, saisissant, de retransmettre physiquement les émotions ressenties. C'est électrisant, rempli de passion. Magique. Elle décide pourtant de se retenir ; ce n'est pas à elle de briller cette nuit, c'est uniquement à lui. Elle l'a assez fait durant toutes ces années où, malgré la célébrité, le succès, tout était gris et fade à ses yeux. La pièce maîtresse de ses spectacles ne l'a pas accompagnée durant son périple, parce qu'au final, malgré tout, Gerald a toujours eu un rêve.
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« Faisons-nous une promesse.
— Quel genre ?
— Quand tu seras trop riche ou fatiguée d'être devenue si incroyablement célèbre que les tabloïds ne te lâcheront plus, reviens.
— On se lasse vraiment de ça ?
— Tu me le diras à ce moment-là. »____
La mélodie s'est terminée et les yeux étincelants de son ami d'enfance sont accrochés à son visage. La chaleur du piano a l'air d'être remontée dans tout son corps, plus spécifiquement dans ses joues. Elle remercie silencieusement la faible luminosité du studio. Un studio qui appartient maintenant à cet homme, juste en face d'elle, Ses lèvres sont sèches alors qu'une réponse brûle sa gorge. Comme pour la rassurer, il lui offre le plus magnifique sourire, celui qui lui a tant manqué, celui capable de la rassurer, celui qui a illuminé ses pires journées pour les rendre meilleures.
Tout un tas de non-dits pèse. Elle le sait. Mais là, elle a l'impression qu'elle n'a pas besoin de prononcer un mot parce qu'il sait déjà tout, et qu'elle aussi.
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« Et... quand je serais revenue ?
— Je ne te laisserais plus partir. »
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Paris perdus
FanfictionUne flopée d'OS commandés par une certaine Ally au don de voyance, après avoir gagné ses paris. Full Gerza.