C'est alors qu'apparu le renard

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« C'est alors qu'apparut le renard. »

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Ce soir-là, il marcha sur la musique.

Les basses faisaient écho aux battements de son cœur.
Elles lui chuchotaient d'escalader la clôture pour s'enfuir à travers l'allée des pins, par-delà les sentiers enneigés du Colorado.

Lorsqu'il quitta la maison, son ombre se fondit dans celle de la nuit.

Ses pieds trainaient sur le sol aussi longtemps que vibraient chaque note dans ses oreilles. Le vent s'engouffrait dans les branches à la cime des arbres, lui murmurant des mots qu'il ne pouvait entendre.
Il jura plusieurs fois à l'encontre du froid mordant qui griffait sa peau, et esquissa un sourire en l'observant changer chacune de ses insultes en buée.

Le ciel avait revêtu son plus beau manteau.
Et ce soir, les étoiles dansaient pour lui.

Il slaloma à travers les sentiers jusqu'à trouver un banc épargné par la neige.
Au-dessus de sa tête, quelques flocons valsaient distraitement, emportés par le rythme effréné de la brise hivernale.
A moins qu'ils n'entendissent la musique, eux-aussi.

La pierre roula douloureusement sous son pouce lorsqu'il se pencha pour allumer son joint. La fumée s'éleva tranquillement vers les hauteurs, éclairée par la Lune.

Et si à tout hasard il décidait de ne pas rentrer, combien de temps s'écoulerait avant qu'on ne remarque son absence ?
Son mégot encore brûlant vint s'écraser sur le sol en même temps que ses yeux se refermaient.
Il avait soutenu le regard de la voûte céleste un moment, maintenant il se sentait épuisé.

Il écouta la mélodie tenter de le réconforter, mais elle ne faisait que mettre le doigt sur son mal-être.

En réalité, c'est plutôt elle qui l'écoutait.

Demain, au crépuscule, il irait à pieds jusqu'au centre commercial à l'autre bout de la ville.
Il y déchargerait les stocks de la boucherie, découperait les pièces de bœuf, et en ferait l'inventaire.
Il reviendrait sur ses pas un peu plus tard. Passerait la matinée au lycée avec sa bande de bras cassés préférée, et terminerait la journée bercé par les vapeurs acides du garage d'Howard.

Avec un peu de chance, Kyle viendra le chercher. Ils fumeront un terh ensemble avant que sonne l'heure de retrouver les murs miteux de la maison.

Il demandera à Karen comment s'est passée sa journée, elle lui aura préparer à manger.
Kevin ne sera pas là, il n'était pas revenu depuis deux semaines.
Carole restera prostrée au fond de son lit, l'œil hagard. Ou peut-être qu'elle sera juste assez clean pour aboyer des conneries après la télé.
Et elle pourra compter sur Karen, aux petits soins pour elle.

Il la détestait. Elle ne méritait pas l'amour de sa sœur. Parfois quand elle était trop bourrée, elle la traitait de salope. Elle l'accusait d'être la cause du départ de Stuart.

Vieille pute.

'Puis en plus il avait cet exposé de merde à faire avec Butters en littérature anglaise.

La barbe.

Sa silhouette se détacha lentement du banc. Il retira son casque pour mieux fourrer son walk-man dans une des poches de son anorak.
Il soupira doucement.
L'heure de rentrer avait sonné.

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Il flottait dans la pièce une odeur de chocolat douce-amère.
Sa tasse encore fumante jonchait un bureau déjà tapissé de feuilles.

L'ombre des pins plantés dans sa rue contrastait délicieusement avec la lumière que projetaient les lampadaires sur le mur de sa chambre.
Depuis des semaines les volets claquaient contre la façade, malmenés par le vent d'automne.
On aurait dit qu'ils lui criaient dessus.

Il jeta un œil par la fenêtre, révélant un regard bleu qui n'avait rien à envier au ciel d'été.
Le temps semblait se jouer de lui. Pourquoi fallait-il qu'il passe si vite durant les vacances, et si lentement maintenant que son camarade devait lui rendre visite.

Il était en retard.

Peut-être qu'il ne viendrait pas.

La silhouette se mouva lentement à travers la pièce, et alluma le plafonnier.

Tant pis, il avait sûrement mieux à faire. Butters ne lui en voulait pas.
De toute manière il ne l'avait pas vraiment attendu pour commencer. Il était déjà minuit passée.

La Lune l'observait depuis la fenêtre.

« The Caterpillar and Alice looked at each other for some time in silence: at last the Caterpillar took the hookah out of its mouth, and addressed her in a languid, sleepy voice.
'Who are YOU?' said the Caterpillar.
This was not an encouraging opening for a conversation. Alice replied, rather shyly, 'I—I hardly know, sir, just at present—at least I know who I WAS when I got up this morning, but I think I must have been changed several times since then.'
'What do you mean by that?' said the Caterpillar sternly. 'Explain yourself!'
'I can't explain MYSELF, I'm afraid, sir' said Alice, 'because I'm not myself, you see.'
'I don't see,' said the Caterpillar.
'I'm afraid I can't put it more clearly,' Alice replied very politely, 'for I can't understand it myself to begin with; and being so many different sizes in a day is very confusing.'
'It isn't,' said the Caterpillar.
'Well, perhaps you haven't found it so yet,' said Alice; 'but when you have to turn into a chrysalis—you will some day, you know—and then after that into a butterfly, I should think you'll feel it a little queer, won't you?'
'Not a bit,' said the Caterpillar.
'Well, perhaps your feelings may be different,' said Alice; 'all I know is, it would feel very queer to ME.'
You!' said the Caterpillar contemptuously. 'Who are YOU?' »


Ils avaient ce commentaire de texte débile à réaliser pour le lendemain. Ils allaient devoir passer à l'oral.
'Faudrait qu'il briffe Kenny avant le cours de littérature anglaise, du coup.
Arr. Il espérait que tout irait bien. Il n'avait pas envie de passer le reste de sa vie enfermé entre quatre murs.

Il n'aurait pas dû se laisser convaincre. Ce devoir aurait déjà dû être fait depuis bien longtemps.
Mais Kenny avait dit « t'en fais pas, attends-moi. Je serais là jeudi, promis. ».
Et Butters n'arrivait pas à dire non à Kenny.

De temps à autre, le ronflement de son père venait déchirer le silence morne qui pesait sur ses épaules. Il faisait de son mieux pour se concentrer sur ses notes.

Il avait encore été puni. Il n'était même plus sûr de savoir pourquoi.
Les causes se confondaient entre elles.
Peut-être parce qu'il n'avait pas bien rebouché le bouchon du jus d'orange, ou qu'il n'avait pas obtenu la meilleure moyenne en sport.
L'autorité abusive de Stephen Stotch n'avait plus le même impact sur le blondinet de 17 ans maintenant.
Il avait fini par s'émanciper un peu avec l'âge. Aujourd'hui, elle était source de conflit.
Il n'était désormais plus rare que le ton monte entre le père et le fils.

Léopold avait été si inquiet et excité à l'idée de faire entrer son camarade illégalement dans la maison qu'il se trouvait malgré lui assez contrarié.
Kenny avait un emploi du temps chargé. Il travaillait à la boucherie du supermarket le matin, et dans le garage d'Howard le soir.
Le seul moment où ils pouvaient se voir, c'est après qu'il ait vérifié que tout se passait bien chez lui, à la tombée de la nuit.
Et il n'était pas venu.

Léopold angoissait.

Le père de Kenny avait pris la poudre d'escampette 2 ans auparavant.
Sa mère avait sombré dans les tréfonds de la drogue peu après. Sans cesser pour autant d'ingurgiter des flashs de vodka devant la pharmacie dès 10 heures du mat'.
Kevin n'avait été d'aucun soutien pour son frère. Ce type était certainement alcoolique depuis ses 12 ans de toute façon.

Kenny a essayé de prendre les choses en main, au milieu du chaos.

Il a rempli les papiers nécessaires à l'obtention de toutes les aides auxquelles sa mère était éligible, il a travaillé pour payer les factures, la bouffe.
Il a forcé Kevin à payer un loyer.
Il a préparé le déjeuner de Karen tous les matins.

Et Butters l'admirait un peu, depuis toujours.
Kenny était le seul, parmi tout ses amis, à s'être révolté contre la manière dont Stephen traitait son fils.

Il aurait aimé être plus proche de lui.

Kenny l'appréciait, mais il ne lui faisait pas confiance autant qu'à Stan ou Kyle.
Quand il avait besoin d'aide ou de réconfort, ce n'était pas chez lui qu'il venait le chercher.

Butters fut interrompu dans ses réflexions par la vibration de son téléphone sur le bureau.
Il l'avait posé face-cachée, trop tenté d'aller vérifier ses notifications toutes les deux minutes.
C'était un message de Kenny, il lui demandait d'ouvrir la fenêtre.

Il s'exécuta, un large sourire venant éclairer son visage.
Il jeta un coup d'œil en contrebas. Ses doigts trituraient nerveusement le tissu de son t-shirt.

« Kenny ? » Sa voix s'était perdue dans les aigües, fébrile. Il ne voyait rien dans son jardin, tout était vide.
La rue était déserte, sombre, et étrangement glauque.

Soudainement, une main débarquée de nulle part s'agrippa au rebord de sa fenêtre, et Butters dû faire un effort incommensurable pour ne pas hurler.

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Extraits tirés d'Alice's adventures in Wonderland de Lewis Carroll Chapitre V
Merci beaucoup pour votre lecture !

A bientôt !

Unique au monde. Bunny Kenny/ButtersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant