CHAPITRE 1 : L'ORBE DES SAVANTS

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Il venait de recevoir sa lettre lorsqu'il commença à écrire. C'était un homme âgé de six cent lunes tout au plus, il n'était pas laid, sans pour autant n'avoir aucune qualité physique particulière. Il portait une chemise de lin blanche dont il avait remonté les manches pour ne pas être gêné dans son entreprise, boutonnée jusqu'en haut, l'air sévère qu'elle lui donnait était tout de même contrasté par ses cheveux mi-courts, souples, noirs corbeaux, et mals brossés. Ses yeux, tous aussi noirs que ces cheveux capricieux étaient rivés sur la feuille blanche qu'il avait face à lui, et sur laquelle dansaient les ombres d'une bougie allumée. Son souffle, qui faisait vaciller la flamme, se coupa tout à coup lorsqu'il plongea le bout de sa plume dans l'encrier, il commença à écrire.

Je me propose de passer brièvement en revue les progrès de l'opinion relativement à l'origine des Animus, la plupart des naturalistes croyaient que les Animus sont des productions immuables créées séparément. De nombreux savants ont habilement soutenu cette hypothèse. Quelques autres, au contraire, ont admis que les Animus éprouvent des modifications et que les formes actuelles descendent de formes préexistantes par voie de génération régulière...

L'homme releva la tête et laissa son esprit divaguer quelques instants, dans quelques heures, il devrait partir, de toute façon, il ne supportait plus vraiment de vivre ici, la maison était trop grande pour un. Très bien... souffla-t-il en se levant après s'être étiré maladroitement, manquant de reverser son encrier au passage. Il traversa la salle et attrapa une grosse malle en cuir qui se trouvait sur la plus haute armoire du petit salon. La portant malhabilement au dessus de sa tête, il finit par déposer la valise rapiécée sur la table et commença à la remplir. Dans la salle rien n'échappait à son oeil attentif, vêtements, fioles en tout genres, plumes, encre, livres et croquis, même les réserves de céréales qui s'entassaient dans des bocaux sur le meuble de la cuisine se retrouvèrent entre chaussettes et chapeau de plage. Lorsque la malle débordait suffisamment, il considéra qu'il avait fait le tour et la ferma en s'asseyant sur le couvercle pour en tasser le contenu. Il traîna ensuite sa valise, l'air léger, jusqu'à la porte d'entrée, survola une dernière fois le salon du regard, éteignit la bougie, fourra le document qu'il avait commencé à rédiger au fond de sa poche, puis sortit à l'extérieur.

La petite maisonnette donnait sur un jardin approximativement entretenu, l'herbe était haute, et le potager envahi de mauvaises herbes, bien que la nuit fût profonde, on distinguait tout de même d'épais massifs de fleurs d'où dégringolaient des plantes colorées. L'homme siffla entre son pouce et son index et presque aussitôt un âne approcha, passant par le portique cassé de la clôture, un sourire se dessina sur les lèvres de l'homme. Il attela à bête à une charrette encombrée de tonneaux vides et de vieux draps abîmés dans lesquels s'était endormi un gros chat roux. Tu es là toi ? Lança l'homme alors que le chat se réveillait en poussant de longs miaulements fatigués. Il traîna péniblement sa valise jusque sur la charrette, dans laquelle il prît place aux côtés du chat qui se frottait sur ses mollets en ronronnant. Nous y voilà...

Là dessus l'âne commença à avancer en tirant derrière lui sa charrette. Le chemin jusqu'en ville durerait probablement jusqu'au petit matin, bien sûr, il existait des moyens de locomotions plus rapides, mais l'homme ne pouvait se résoudre à abandonner son vieil âne fatigué et sa charrette pour l'une de ces machines bruyantes et incontrôlable qu'on vendait maintenant sur les grands boulevards. Et ce fût donc ainsi que commença le grand voyage. Un âne, un homme, un chat, et une grosse mâle en cuire rapiécée qui contenait sans aucun doute plus de mystère que la terre toute entière.

Quelques heures plus tard, l'homme se réveilla en sursaut. Le gros chat tigré avait planté ses griffes dans ses cuisses et les s'enfonçaient dans sa peau comme de petites aiguille, elles lui arrachèrent un petit cri de surprise. Aïe ! Mais qu'est ce qui te prends Ruben ? L'homme leva la tête et vît la volée d'oiseaux qui traversait juste aux dessus de leurs têtes. Le soleil venait à peine de se lever et projetait des lueurs violacées dans le ciel endormi, seuls le bruissement des battements d'ailes semblaient perturber l'implacable silence matinal. Nous ne somme plus très loin... Pensa-t-il lorsqu'il aperçut les formes indistinctes des bâtiments qui se dégageaient à l'horizon sous une épaisse nuage de fumée noire. L'espace d'un instant, il regretta presque que le voyage soit passé si vite, peut-être que si je ne m'étais pas endormi, songea-t-il distrait, j'aurais pu voir des Animus nocturnes... On dit qu'ils y en a sur la route entre Terram et Caelum... Puis, sans cesser de se questionner en caressant rêveusement le gros chat roux, il observa la ville qui se rapprochait doucement. Au bout de longues minutes, l'âne atteignit les grandes portes de Caelum, au-dessus desquelles on pouvait lire en grandes lettres capitales : BIENVENUE À CAELUM, PASSAGE RÉGLEMENTÉ, STRICTEMENT PROHIBÉ AUX ANIMUS DE CLASSE III. Devant la porte principale, une file interminable s'étendait tout le long des remparts qui fortifiaient la ville. On y voyait des Animus en tout genre, des petits, des grands, des gros, des maigres, de toutes les couleurs de peaux, et parlant chacun avec leur propre accent. La plupart étaient de classe I, comme l'homme qui voyageait dans sa charrette avec son gros chat roux, mais d'autres devaient provenir de contrés plus lointaines car il fallait que l'homme cherche dans sa mémoire pour savoir à quel classe ils appartenaient. Alors que plus de deux cent personnes attendaient de pouvoir traverser les fortifications, l'homme lui, se laissa guider par son âne et pénétra directement dans la ville, salué par l'un des hommes qui montait la garde et vérifiait les papiers d'identité de tout le monde.

DE L'ORIGINE DES ANIMUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant