CHAPITRE 3 : Le village d'Aequor

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Ce matin-là, un cauchemar effroyable tira brusquement Ansegis hors de son sommeil. Il sursauta et se redressa haletant. Des sueurs froides ruisselaient le long de ses tempes. Pourtant, en ouvrant les yeux, il ne vît autour de lui que son gros chat roux, lové contre sa poitrine, et son âne qui s'était allongé dans l'herbe sous un gros chêne qui ombrageait le petit chemin de terre. La charrette, elle, avait été abandonné un petit peu plus loin, appuyée contre un vieux puit en pierre, où l'âne, assoiffé, avait bu la veille quelques gorgées d'eau croupie par dépit. Alors que son souffle se calmait, Ansegis essaya de se remémorer les images qui lui avaient fait peur, il ferma même les yeux pour se concentrer d'avantage. Il se souvînt du visage d'une jeune femme, habillée de haillons et recroquevillée sur elle même. Elle pleurait. Il se força à retourner dans son rêve, mais plus il essayait de se souvenir des détails, plus ceux-ci semblaient lui échapper, jusqu'à ce qu'il ne lui reste en mémoire que le visage apeuré de la jeune femme. Il ne l'avait jamais vu. Pourtant... Pourtant il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il s'agissait de la princesse disparue. Il n'aurait pu l'expliquer, mais il le sentait au fond de lui. Ansegis était un homme de science, et même si ses convictions les plus profondes criaient à l'hérésie, lui, commençait à mettre un visage sur celui de l'illégitime princesse. Il caressa doucement son gros chat roux, réveille-toi, Ruben, le jour est déjà levé. Si nous nous mettons en route maintenant, songea Ansegis, nous seront arrivés à Aequor pour souper.

Alors, Ansegis se remit en route, il attela l'âne fatigué, prît le gros chat roux sous le bras et leva le camp. Ils avaient traversé des landes toute la journée d'hier, et le paysage ne s'annonçait pas différent le moins du monde pour leur trajet du jour. Un terrain plat à perte de vue, parsemé de quelques arbres le long du chemin. Parfois, un lapin détalait tout à coup et s'enfonçait dans son terrier entre deux bruyères. Étonnement, Ansegis ne semblait pas se lasser du paysage, et rêvassait en étudiant les arbres qui se trouvait sur son chemin. De temps à autre, il faisait une halte, et descendait de la charrette pour aller ramasser des bricoles sur le chemin, une pierre à la forme amusante, une plume colorée ou une feuille d'arbre rigolote. Le chat, lui, s'était couché sur la grosse malle et le regardait faire de ses grands airs supérieurs. Lorsque la charrette s'arrêtait, il ouvrait un oeil puis suivait Ansegis d'un regard las. Malgré les multiples arrêts du petit convoi, Aequor se dessinait à l'horizon, et les trois aventuriers sentaient déjà les embruns salés que le vent apportait jusqu'au coeur des terres. Au loin, on apercevait le petit village fumant, surplombé par une colline où trônait un immense phare aussi bleu que la mer. Tout ici pourtant restait désert et silencieux, et il leur fallut attendre de vraiment s'approcher d'Aequor avant d'entendre le bruit des villageois et des animaux mécaniques qui tiraient des charrettes. Ansegis fût d'ailleurs étonné d'en croiser autant alors qu'il en avait vu si peu autour de Caecum.

En même temps, songea-t-il, ces engins-là coûtent une vrai petite fortune, et il y a peu de voyageurs à Caecum, à quoi bon se ruiner pour laisser sa machine prendre la poussière au fond d'une grange.

Juste là, un chameau mécanique de près de deux mètres de haut au garrot, avançait d'un pas lent en tirant derrière lui une calèche flambant neuve. L'animal était fin, élancé, et son corps, fait d'engrenages et de pièces métalliques de toutes formes brillait au soleil d'un éclat presque aveuglant. Mais le chameau n'était pas le seul à refléter une lumière éblouissante au visage d'Ansegis, car bientôt, une multitude de chevaux, zèbres, dromadaires, cerfs, rennes, et rhinocéros tractaient carrioles et autres charrettes en tout genre, formant sur le chemin un embouteillage fumant grinçant et désordonné jusqu'à la ville.

Devant tous ces animaux spectaculaires, Ansegis sentit son âne lever la tête et se redresser fièrement sur ses quatre pattes. Au fond de lui, le savant ne pouvait s'empêcher de se demander si sa bête avait conscience d'être faite de chair et d'os, ou bien si elle cherchait à démontrer aux animaux mécaniques que son poil était bien plus brillant que leur ridicule éclat métallique.

DE L'ORIGINE DES ANIMUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant