Beautiful | Jikook

Eyes

Je ne me souviens plus vraiment de l'ordre des évènements, mais ce dont je me souviens c'est de ses yeux posés sur moi, me fixant, avec insistances.

J'étais jeune avec peu d'assurance, évitant constamment son regard, je m'efforçais de bien faire. Il avait toujours cette façon de me parler, cette façon de faire avec moi, juste moi. Au début, je préférais me persuader qu'il cherchait à être amical même s'il était maladroit. Puis j'ai pensé qu'il voyait en moi un petit frère, mais là encore, je faisais fausse route.

Il continuait, inlassable, à venir vers moi encore et toujours plus près, avec tellement d'insistance que j'ai fini par me dire qu'il ne m'aimait pas vraiment. Du bizutage ?

Une sorte de harcèlement pour m'embêter, quoique le mot parait un peu négatif, mais c'était précisément cela. Pas un jour ne passait sans que Jimin ne vienne vers moi, Jungkook.

De soir au matin, il était pendu à mon cou, parlant fort, me questionnant sur tout, et rien, me traitant comme son petit chiot personnel. Il jouait dans mes cheveux, réarrangeait mes vêtements, vérifiait mon look, essuyait de son pouce le coin de mes lèvres et puis il grimpait sur mon dos en riant. Il m'utilisait comme mule devant les autres, se montrant trop familier et me grondant ou boudant comme un enfant gâté lorsque je l'ignorais. Une erreur de ma part, car cela semblait le motiver davantage ! 

Je n'ai pas le souvenir d'avoir beaucoup lutté. Un peu pris de court, je le laissais faire trop préoccuper à faire bonne figure. C'est un aîné, je ne voulais pas me montrer irrespectueux, alors je le laissais faire. Je le laissais me chatouiller, manger dans mon assiette, s'asseoir sur mes genoux et prendre mon bras quand il le voulait, où il le voulait. Il me déroutait. Son comportement, que tous les autres prenaient pour de l'affection, semblait n'avoir aucune limite.
Parfois, la nuit, il venait doucement se glisser dans mon lit. Nous n'en avons jamais parlé, mais je me tournais automatiquement pour lui faire dos pendant qu'il se blottissait contre moi, soupirant.

De longues nuits où il m'était difficile de trouver le sommeil.

Ce qui me gênait au début devient habituel, et même un peu lassant. Je m'accommodais peu à peu, le repoussant et rétorquant plus ouvertement à ses taquineries. Je prenais un peu plus d'assurance aussi bien en tant que membre auprès des fans, mais, surtout au sein du groupe.
Je compris alors qu'il était ma nouvelle famille, ceux qui veilleraient sur moi dès maintenant. J'apprenais vite et travaillais dur, voyant mes efforts payer.
Ça me remplissait de joie, j'étais fier de ce que j'accomplissais et dans un excès de confiance, j'ai commencé à penser que, malgré son comportement, j'étais unique aux yeux de Jimin.

J'ai fait l'erreur de le prendre pour acquis.

     Ce matin, je me réveille fatigué, comme le matin précédent et celui d'avant, et encore encore avant. Je pourrai dire que ce sont les répétitions, les représentations, je pourrai trouver tout un tas d'excuses toutes plus valables les unes que les autres, mais en vérité, je suis préoccupé. Tout en me préparant lentement et en silence, j'entends Jin rire à mes côtés.

« Tu as mis ton polo à l'envers. »

Je baisse les yeux en le regardant tirer sur l'étiquette du vêtement qui grattait mon menton. Il pose un regard amusé, mais bienveillant envers moi ne se moquant pas plus de mon étourdissement. Après avoir remis mon haut correctement, je rejoins les membres du groupe pour le premier repas de la journée. Malgré nos régimes différents et stricts, on essaie de manger ensemble autant que possible et pourtant, il y en a un qui manque à l'appel. Je ne vois pas Jimin.
Je balaye la pièce du regard cherchant sa présence quand RM semble capter ma détresse. Il répond à ma mine inquiète que le danseur est parti répéter seul, nous devançant.
Ma gorge se noue alors que je baisse les yeux et termine mon petit-déjeuner. Je ne saurai dire si cette avance est due au hasard ou volontaire, mais cette fois si le leader ne vient pas éclairer ma lanterne. Les chamailleries de Jin et Tae me semblent lointaines, résonnant dans un bruit sourd pareil à des bourdonnements. Je crois qu'ils se chamaillent parce que Tae pique encore de la nourriture dans son bol. La boule dans mon ventre ne me quitte pas jusqu'à mon arrivée dans la salle de répétition et quand je le vois, je comprends clairement qu'il m'évite.

Il n'y a pas vraiment de raison à cela donc : pourquoi lui poser une question sur son comportement ? Après tout, il est bien libre de faire comme il veut, mais alors... pourquoi ça m'est si difficile à accepter ?... Cela commence à créer un vide, que je ne peux expliquer.
La journée passe et se déroule sans encombre. Je fais comme si de rien n'était et pourtant mon regard ne cesse de dériver dans sa direction.
Ses yeux.
J'ai toujours évité la confrontation directe, et cela, même si je finissais par lui tenir tête. Son regard est trop captivant, intense. J'ai toujours eu cette crainte étrange que je pouvais m'y noyer si je m'y attardais, mais à présent, je ne fais que chercher leur attention.

Je deviens apathique et les jours passant Tae s'inquiète de mon état, le groupe remarquant les changements entre Jimin et moi. C'est flagrant pour être passé sous silence, mais ce qui me blesse le plus c'est son détachement lorsqu'il répond les yeux dans le vague qu'il n'y a rien.
Rien.
C'est justement ça qui me blesse, plongeant les autres dans l'incompréhension.
Je suis un peu perdu. Je ris, mais le cœur n'y est pas. Je danse, mais j'ai la tête qui tourne. Je chante, mais je crois qu'il ne m'écoute pas vraiment.
Se serait-il lassé de moi ? Je veux comprendre ce qui l'oblige à me repousser... En y pensant moi aussi, j'ai fait ça.
J'ai constamment repoussé sa présence, ses attentions, son contact. Et alors que j'espérai ardemment cette paix maintenant, je regrette mon souhait.

Les jours, les semaines passèrent et la situation reste inchangée. Nous n'échangeons que des banalités et notre relation s'étiolant peu à peu me ronge de plus en plus.

Un soir, après une journée assez calme, je prends mon courage à deux mains et décide de prendre Tae à part. Il connaît bien Jimin, peut-être qu'il pourrait lui parler. C'est un type bien, il est un peu étrange et gentil, mais surtout très étrange. La première fois que je l'ai rencontré, je me suis demandé s'il n'était pas un extra-terrestre, puis avec le temps, j'ai compris que le plus humain de nous tous : c'est lui. Je l'envie un peu, d'être si naturellement attractif. Tae fait partie de ses gens qui sont comme des bouffées d'air frais. Il est une personne de confiance alors, je n'hésite pas à lui faire part de mes doutes.
Je le vois faire une drôle de moue en fronçant un peu les sourcils :

« Je ne sais pas pourquoi il fait ça. Jimin a son caractère bien à lui ! Il ne le montre pas, mais il a une grande sensibilité. Tu devrais aller plus vers lui, me dit-il.
— Tu penses ? Je ne suis pas vraiment sûr de comment agir face à lui. En fait, c'est...
— C'était toujours lui qui venait vers toi. Petite princesse que tu es. Lui aussi réclame de l'attention... »

Son rire me ramène un peu sur terre. C'est vrai, je me suis laissé porter par la situation et la seule réaction que j'ai eue à son égard fut de le repousser. Je suis un idiot.

J'attends la fin de soirée, que tout le monde soit posé à se détendre et s'occupe de ses petites affaires pour saisir le moment opportun. Lorsque je vois Tae quitter sa chambre, je m'y engouffre précipitamment.
Un peu trop apparemment, car lorsque je lui fais face Jimin me fixe d'un air interrogateur. Ma bouche s'ouvrir puis se ferme à répétition sans qu'aucun son ne sorte.

« Tu as besoin de quelque chose ?
— Que tu me dises pourquoi tu es comme ça.
— Pourquoi, je suis quoi ? Je vois pas trop ce que tu —.
— Comme ça avec moi ! T-tu m'ignores depuis des semaines et je veux savoir pourquoi !
— ... Je ne vois pas ce que tu veux dire, continue-t-il de nier.
— Si j'ai fait quelque chose qui t'a blessé, dis-le-moi. Je veux que tu me parles comme avant, qu'on soit ensemble et qu'on... »

Je m'enfonce... Je sens son regard peser sur moi et plus je tente de parler plus je baisse la tête et fixe mes pieds. Ma phrase reste en suspend, qu'est-ce que je peux bien dire de plus ? Il s'avance vers moi, si proche que je sens l'odeur de son shampoing chatouiller mes narines. Je me sens griser de redécouvrir cette odeur qui me fuyait depuis quelque temps déjà.

« Kookie~ »

Sa façon de m'appeler, sa voix suave un brin enjôleuse ; il me parle enfin. 

Je suis comme balayé sauvagement par une tempête, mon esprit incapable d'assimiler toute autre information me crie de ne pas le lâcher des yeux. 
Ce frisson qui parcourt mon échine lorsque nos regards plongent l'un dans l'autre. La sécheresse présente dans ma gorge quand il me sourit ses yeux devenant des demi-lunes rieuses.
Il rayonne comme un soleil. Son air angélique me cloue sur place, laissant un sourire béa et simplet, sur mes lèvres. Je suis honteux, cependant, il chasse mes inquiétudes et mes doutes d'un regard, d'un battement de cils. 
Sa main se glisse dans la mienne et doucement, il le tire vers son lit. Blotti dans mes bras, pour la première fois, je ne lui tourne pas le dos et je passe une nuit très reposante. Cela faisait bien longtemps...

Je crois qu'il m'a manqué plus que de raison...