Chapitre XI

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16 novembre 2019

Dix minutes. Il s'était écoulé dix minutes depuis l'arrivée de Bettina chez les Palys. Dix minutes que les deux filles se fixaient. Eliana n'avait pas changé son regard. Sa meilleure amie resta dans l'encadrement de la porte, sans bouger. Le regard noir face à elle la paralysait, la mettait mal à l'aise. Elle ne savait pas où se mettre. Bettina finit par baisser les yeux, ne supportant plus la colère qu'elle lisait dans ceux de l'autre jeune femme. Même si elle savait qu'elle la méritait.

Eliana, quant à elle, ne réussissait pas à détacher son regard de sa meilleure amie. C'était la première fois qu'elle la voyait depuis qu'elle était revenue. La fois à l'université elle ne l'avait qu'aperçue. Elle ne comprit pas forcément pourquoi, mais lorsqu'elle remarqua que Bettina n'avait que peu changé, cela la frustra. En réalité, elle ne sut pas vraiment dire ce qu'elle ressentait. Plusieurs sentiments semblaient se battre en elle. D'abord la colère, l'incompréhension. Mais aussi la joie, le soulagement de la voir, vivante. Il y avait aussi ce qu'Eliana ressentait pour elle. La colère n'avait rien effacé, mais ces sentiments avaient par contre aggravé la colère qu'elle éprouvait. Ce fut d'ailleurs ce sentiment qui l'emporta sur le reste. Eliana finit par parler, plus froidement qu'elle l'aurait voulu.

- Alors, c'était drôle de jouer la morte, Eva ?

Malgré le ton employé, et la colère dans la voix de sa meilleure amie, Bettina ne put s'empêcher d'esquisser un discret sourire. Elle connaissait Eliana, elle savait comment elle pouvait réagir, et visiblement elle n'avait pas changé sur ce point. Elle savait aussi que la question était légitime. Bettina perdit vite son sourire face au regard dur de son amie. Elle prit une profonde inspiration avant de répondre.

- Est-ce que tu me permets de tout te raconter ?

Eliana haussa les épaules. Elle indiqua à sa meilleure amie de s'assoir sur son lit. Elle ferma sa porte et s'assit à son tour, complètement à l'opposé. Bettina lui raconta alors tout ce qu'elle avait vécu. Sa chute du bateau, qu'elle n'avait pas prévu, son sauvetage. Elle expliqua tout sans être interrompue. Elle parla de son mensonge, qu'elle n'avait pas vraiment anticipé non plus, le fait qu'elle avait sûrement disjoncté, même si elle insista sur le fait que cela ne l'excusait pas. Elle raconta la vie à la maison de repos, ce qu'elle voyait, ce qu'elle ressentait vis-à-vis de ce qu'elle avait fait, pourquoi elle avait mis tant de temps avant de rentrer.

Bettina ne fit qu'une courte pause avant d'expliquer les raisons de cette décision, qu'elle disait spontanée. Ses parents qui se déchiraient depuis des années, la tristesse de voir Aksel autant en souffrir sans rien pouvoir faire. Elle avait essayé plusieurs fois de leur en parler, sans jamais de succès, Elly et Irwin étaient trop fiers. Mais ça, Eliana le savait déjà. La jeune femme lui parla ensuite du dégoût qu'elle avait d'elle-même depuis le lycée. Vis-à-vis de ce qu'elle était, de ce qu'elle voyait d'elle. Elle insista à nouveau sur le fait qu'elle ne cherchait pas à se justifier par ces raisons, mais que le dégoût qui ne cessait d'augmenter l'handicapait toujours davantage. Malgré l'aide de ses parents, de son frère, de ses amis, de sa meilleure amie, elle n'avait pas réussi à se voir autrement. C'était quelque chose qui la pesait beaucoup, et qui l'empêchait d'être heureuse, ou d'essayer de l'être pleinement.

Bettina termina la plus grande partie des explications, mais il lui restait la plus difficile à ses yeux. Elle poussa un soupir à peine audible, rassembla son courage et se lança avant qu'il ne s'en aille. Même si elle murmura plus qu'elle ne parla.

- Et toi.

- Pardon ?

Bettina ne releva pas le ton froid d'Eliana. Elle devait aller au bout.

- Je sais que tu es au courant Lia, tu l'as lu dans la lettre que j'avais écrite. Je... Je ne te l'avais jamais dit parce que je ne savais pas comment faire. Je... Tu ne laissais pas vraiment quelque chose paraître, j'avais peur de ce que ça changerait entre nous. J'étais sûre que tu prendrais peur et que tu ne voudrais pas l'accepter.

Il n'en fallut pas plus à Eliana pour exploser. C'était trop d'un seul coup, trop de choses qu'elle ne pouvait pas entendre. Elle se leva d'un bond et s'adressa à Bettina. Elle parla sans s'arrêter, ne chercha pas à cacher ni sa colère, ni sa tristesse, elle s'arrêta à peine pour respirer.

- Tait toi, tu n'as pas le droit de dire ces choses-là après ce que tu as fait, tu n'as pas le droit de débarquer comme ça, après six mois et de me dire tout ça ! Tu as disparu pendant des mois en nous laissant croire que tu étais morte noyée, tu n'as aucune idée de la souffrance que tu as causée chez tous ceux qui t'aimaient. Tu avais des personnes autour de toi, qui tenaient à toi. Tes parents ont dû faire le deuil de leur fille aînée, ils ont vu leur vie famille bouleversée à jamais. Ton frère a perdu un des seuls piliers qu'il avait, il a dû subir seul les problèmes de vos parents, il avait perdu sa sœur et ses notes dégringolaient. Il a sombré de jours en jours pendant que toi tu vivais loin de ses problèmes, il a vécu des choses qu'il n'aurait jamais dû vivre à son âge. Tu nous as abandonné, tu n'as pensé qu'à toi et à ce que tu vivais ! Tu aurais pu nous en parler, tu aurais dû, tu sais parfaitement qu'on aurait été là pour t'aider. Tu aurais pu m'en parler à moi, tu savais que je serai là et que j'essaierai de t'aider. Tu ne peux pas savoir comment j'aurai réagi ! La vérité c'est que tu as été égoïste, et lâche. Et ces choses-là je ne peux pas les accepter, je ne peux pas.

Au fur et à mesure des reproches qui pleuvaient sur elle, Bettina devint blême et fondit en larmes. Elle en avait bien sûr conscience, mais voir sa meilleure amie ainsi, et entendre tout ce dont elle était responsable, elle vit ce qu'elle avait vraiment provoqué. Elle vit les souffrances qu'elle avait causées.

Eliana reprit son souffle, elle passa ses mains sur son visage, ce qu'elle faisait souvent lorsqu'elle était angoissée, en colère ou triste. Elle se mit dos à Bettina, et reprit, plus calmement, en se concentrant pour prendre la voix la plus neutre possible.

- Peu importe tes explications, ou même tes excuses. Je ne veux plus te voir. Je ne peux pas te pardonner ce que tu as fait, tu as fait subir des choses que tu n'imagines même pas à ta famille, à Aksel, à nous. C'est trop tard. Je ferai comme si tu n'existais plus, je te promets de ne pas chercher à te parler de nouveau. De toute façon, pour moi, le temps a passé, je t'oubliais, autant continuer comme ça.

Bettina retint un hoquetde surprise face aux paroles d'Eliana. Elle avait un ton neutre, mais la jeunefemme sentit la colère derrière ses mots. Elle connaissait suffisamment sameilleure amie pour savoir qu'elle ne changerait pas d'avis. Elle ne cherchapas plus loin, elle se leva, regarda Eliana et partit sans un mot.

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