Un dernier Noël

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Une délicieuse odeur me chatouille les narines. Ma ratatouille maison semble cuire convenablement. Je souris, repensant à ma mère qui la faisait avec un si bel entrain quand j’étais enfant. Les derniers temps, elle gardait ce sourire quand je lui faisais sa propre recette. Peut-être se souvenait-elle du plaisir qu’elle prenait en la préparant pour nous.
    C’est ce plaisir que je ressens aujourd’hui en la concoctant pour cette dame dont on ne sait pas grand-chose. Elle a été retrouvée errante dans les rues de Londres avec une plume d’oie à la main, ne parlant pas un seul mot. Elle a été diagnostiquée atteinte de la maladie d’Alzheimer et son portrait a été affiché dans les journaux et sur le Web afin de trouver sa famille. En attendant, elle devait être hébergée dans une “famille d’accueil” pour personne âgée dépendante. Et c’est là que j’interviens car une place venait de se libérer chez Helen McGuire - moi. Je devenais donc sa dame de compagnie.
   
Je m’installe à côté de son lit. Elle dort, les traits de son visage formant une expression inquiète. Peut-être faisait-elle un mauvais rêve ? Je passe ma main au-dessus de sa tête ce qui lui fait ouvrir les yeux me faisant sursauter.

Bonté divine, vous m’avez fait peur madame, dis-je la main sur la poitrine. Le dîner est prêt, allons-y.

Je la prends par la main et l’invite à me suivre dans la cage d’escalier qui l’amènera vers le salon, puis dans la cuisine. Elle me regarde avec des yeux vides et commence à avancer. Je la dirige donc jusqu’à sa place et lui mets sa serviette de table. L’odeur de la ratatouille m’emplit les narines et fait gronder mon estomac de faim. Je sers donc deux assiettes et entreprends de la faire manger.

Son visage totalement inconnu atteste d’un passé douloureux. Quelques cicatrices ornent son front et ses pommettes donnant à ses rides une forme alambiquée. Je ne sais pas ce qui les a causées mais une chose est sûre, elles n’ont pas été faites de bon cœur.
Son visage se détend à chaque bouchée, preuve qu’elle apprécie ma cuisine. Et j’avoue être assez fière de moi car le goût de ma ratatouille ressemble exactement à celui qui a ravi mes papilles durant mon enfance. Maman, si tu me regardes de là-haut, sois fière de moi !

Nos journées sont rythmées par des rires, mais aussi beaucoup de silence. Ce n’est pas un silence malaisant, bien au contraire, c’est un silence empli de bienveillance de ma part et de compréhension de la sienne. J’arrive maintenant à capter son regard et lui faire comprendre beaucoup de choses rien qu’avec mes yeux. Même si souvent je les accompagne avec des mots. C’est peut-être pour me rassurer moi-même. Elle semble apprécier ma compagnie et elle me le rend bien car j'apprécie la sienne. D'autant plus qu'elle est très tactile et semble avoir besoin d'une présence constante avec elle, preuve d'un malaise quand elle se retrouve seule.
Les seules choses que j’ai pu apprendre, et même comprendre sur cette femme, c’est qu’elle est perdue et qu’elle semble avoir vécu de mauvaises choses.

***

Un bruit me fait sursauter dans mon lit. Ma porte d’entrée vient de s’ouvrir. Et un courant d’air chatouille mes pieds sortis furtivement de la couette pendant ma bataille nocturne avec mon aise. Je frissonne de froid mais aussi de peur. Quelqu’un se serait-il introduit chez moi?

    Des chaussettes aux pieds, un pantalon de pyjama en pilou pilou et un gros pull-over commencent à me réchauffer afin de pouvoir m’aider dans ma quête de réponse sur ce mystérieux incident. La maison s’est refroidie assez vite et des pas se font entendre au dehors. J’ose un regard furtif vers la porte d’entrée qui se trouve non loin de celle de ma chambre. En effet, elle est grande ouverte. Ouverte sur une nuit froide et venteuse où le givre commence à se déposer sur les voitures. Pourtant c’est étrange car la météo nous annonçait une nuit plutôt douce pour la saison. Une silhouette apparaît sous les lampes de la rue. Une silhouette que je connais bien. Un léger embonpoint, une courbure commençant au niveau des épaules et finissant dans les reins, significative d’un tassement des vertèbres bien spécifique que nous avions décelé chez la dame dont je m’occupe. Quelqu’un ne s’introduit pas chez moi, mais quelqu’un en sort.
    J’enfile mes chaussures et entreprends de courir après ma colocataire non sans oublier de refermer ma porte à clé. Elle est visiblement très perdue car elle est sortie pieds nus et en unique peignoir. Je n’ose pas l’appeler car je devrais crier pour qu’elle m’entende. En pleine rue de Londres et en pleine nuit, ce n’est visiblement pas une bonne idée. J’ai déjà pu voir une bagarre entre deux voisins à cause du bruit et il y en a un qui me terrifie. Impossible pour moi d’attirer ses foudres.

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