Un homme loin de se sentir seul, assis au milieu de son salon de fortune sur un vieux canapé qu'il avait réussi à ramener à l'aide de ses talents uniques, profitait de la fraîcheur de la soirée. Son regard défilait sur ses vieux meubles qu'il avait réparés de ses propres mains. Dans l'obscurité, les rayons de la lune seuls l'accompagnaient dans cette nuit de souffrance et d'inquiétude. C'était une âme en peine qui ne cessait de réfléchir, encore et encore. À son passé mais surtout, à son présent.
À ce jour, tout n'était pour lui que routine et ennui. Venant de l'extérieur, des relents des machines des docks lui montaient jusque dans les narines, mais il en avait tant l'habitude qu'à présent cela ne l'écoeurait plus. Mais de cette routine, il n'en pouvait plus et décida de la briser : il allait sortir et laisser la brise le guider aux travers des rues.
Installé à un rebord de fenêtre sans vitre, un corbeau le fixait, pencha légèrement la tête comme pour persuader l'homme qu'il faisait le bon choix. Ce dernier considéra ce geste comme un signe et se leva.
— Garde la maison pour moi en mon absence...
C'était une sombre nuit d'été 1888. Celle du 30 au 31 août. Une nuit comme bien d'autres : agitée, voire tumultueuse dans le quartier pauvre et surpeuplé de Whitechapel, à Londres. On pouvait entendre dans la brume irrespirable, empoisonnée par les fumées des usines avoisinantes, des pointes d'accents étrangers venus de l'Est et du Nord.
Parmi les ombres qui persistaient, malgré la lumière des lampadaires à gaz qu'avait fait installer plusieurs années plus tôt par ce bon roi George IV, se faufilait l'homme qui s'était vêtu pour l'occasion d'un ensemble très distingué qui détonnait tout particulièrement avec l'ambiance de son environnement : il portait une longue redingote de laine noire et un chapeau haut de forme de bonne facture sur le crâne. Dans son dos tombait de longs cheveux d'un blanc éclatant, qu'on pouvait comparer à ceux des anges décrits dans les différents récits bibliques. De longs brins doux comme de la soie. Comme un fantôme, l'individu d'apparence jeune semblait se fondre dans le léger brouillard qui l'entourait. D'ailleurs, ce terme de "fantôme" semblait bien le désigner tant il était imperceptible aux yeux de la foule qu'il traversait. Dans cette rue, il aurait pourtant dû se distinguer particulièrement par sa taille, sa tenue et la couleur de ses cheveux si atypique. Cependant, aucun regard ne se portait sur lui ; il était comme un spectre dans la nuit.
Si, de chaque côté de la rue, nombreux étaient ceux qui rentraient dans les taudis qui leur servaient de demeures pour s'endormir après une longue journée de travail, cette âme en peine ne semblait plus être atteinte par le sommeil : après avoir passé son temps comme enlisé dans sa routine, c'était le moment pour lui de se dégourdir les jambes. Le mieux aurait encore été de se rendre à la campagne pour prendre l'air. Mais cet environnement pollué et cette cité étaient comme des parents pour lui qui le portaient depuis tout ce temps. Il n'était pas encore prêt à couper le cordon.
Tel une ombre dans la nuit, on avait l'impression qu'il flottait au-dessus du sol pavé, chacun de ses pas semblant être contrôlés. Ce qui n'était pas le cas des autres personnes qui le croisaient : on pouvait notamment y trouver nombre d'ivrognes qui sortaient des pubs encore ouverts tardivement et qui se saoulaient au point de tituber sur la chaussée tout en déblatérant nombre d'injures parfois inaudibles tellement elles étaient grommelées.
"Boire pour oublier.." pensa l'homme, qui n'avait pas besoin de les voir pour les localiser, sentant sans difficulté leurs effluves alcoolisées et de souillures parmi toutes celles empestant déjà les rues de de l'East End. "Pour oublier leur propre déchéance...Voilà des années que cette condition de l'Homme à se soûler n'a pas changé. Il serait sûrement moins stupide à se modérer un peu."
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WHITECHAPEL
ParanormalLondres. Été 1888. Le corps massacré d'une prostituée est découvert dans les bas-fonds du quartier de Whitechapel. Un crime qui sera plus tard imputé au tueur en série connu sous le nom de "Jack l'Éventreur". Mais lorsque Alec Langdon tombe lui-même...