Résidence étudiante de la Perdrix, appartement 8, territoire français.
Novembre déjà. Ces 2 premiers mois sont passés si vite. Les couleurs d'or prennent enfin le dessus sur cet ensemble verdâtre que forment les bois de Palanque. Bientôt, plus aucune feuille n'empêchera les derniers rayons de soleil de traverser les arbres et elle pourra enfin savourer les dernières chaleurs d'été sur son balcon étroit.
Sora ouvrit ses fenêtres et la brise environnante s'engouffra dans son petit appartement. Le ciel avait amorcé son dégradé coloré lorsqu'elle décida de s'installer dehors. Elle s'assit sur son fauteuil usé, mais malgré tout confortable, posa sa tasse sur la petite table de jardin et respira avec tranquillité l'odeur des feuilles mortes séchées par le soleil. Depuis qu'elle était arrivée dans cet appartement, Sora prenait ses dimanches comme des rituels. Elle se levait tard, avalait un petit déjeuner copieux et s'installait devant son écran pour jouer jusqu'au milieu d'après-midi. Dès qu'elle en avait la motivation, elle entamait de faire son ménage et finissait souvent assise dehors sur son vieux fauteuil, une tasse de thé à la main, à regarder le ciel pendant une heure ou deux en attendant que le sol de sa cuisine sèche.
Ce dimanche là, elle somnolait plus que d'habitude et s'était presque endormie lorsque son téléphone sonna deux fois. Le rappel, plus que quinze minutes. Elle retourna son téléphone face contre table et entreprit de vérifier l'état de son carrelage. Tout était sec. Avec des gestes lents, elle rentra son modeste mobilier à l'intérieur, le soleil avait déjà décliné et il serait bientôt temps. Dix minutes, il lui restait dix minutes avant de répondre aux interminables questions des docteurs, de décrire la moindre de ses sensations au cours de la dernière semaine et de passer, encore et toujours, les mêmes questionnaires interminables sur sa santé mentale. Elle décida d'aller prendre une douche malgré le timing serré. Par réflexe, elle alluma son ordinateur avant de se diriger vers la salle de bain. Neuf minutes. L'eau chaude la détendait, elle essayait de ne penser à rien d'autre qu'à l'odeur de mûre sauvage qui flottait dans la vapeur environnante mais elle le sentait, quelque chose en elle commençait à s'agiter. Quand la chaleur ne suffit plus à calmer son anxiété, elle sortit, se sécha et s'habilla d'un pull gris trop large et d'un jean taille haute. Deux minutes. Elle se resservit du thé et prépara son bureau. Ordinateur allumé, bloc notes, stylo, lumières et ... ses cachets. Il manquait ses cachets. Elle couru dans sa cuisine, attrapa la boite blanche, en retira les deux pilules marron et retourna aussitôt devant son écran. Une minute. Elle passa la main dans ses longs cheveux châtains, en pensant qu'il était temps de les couper un peu, ouvrit l'onglet internet et prit une grande inspiration. 18h30, tout pile. Les voilà qui appellent. Sora décrocha et commença son interview. Les deux heures interminables qui s'en suivirent eurent raison de sa patience, les médicaments jouant sur sa fatigue et ses interlocuteurs sur ses nerfs. Les entretiens terminés, elle éteignit son ordinateur, lassée et s'effondra sur son canapé.
Voilà 7 ans que tous les dimanches, à 18h30 précise, Sora s'entretenait avec les experts de Caelis, une société mondialement connue pour se mêler de toutes les affaires qui concernait de près ou de loin la venue de l'Ange sur Terre. Tous les mois, elle devait envoyer des prélèvements sanguins et urinaires. En échange, elle vivait libre, dans la mesure du possible, et ses parents recevaient des versements réguliers pour garantir leur silence. Ses tout premiers traitements l'avaient faite souffrir mais l'habitude avait enrayé la douleur et elle ne ressentait maintenant que quelques picotements légers. Il lui était plus insupportable de converser virtuellement de son intimité avec des gens inconnus dont les visages n'étaient symbolisés qu'au travers de quelques pixels. "Rien n'était jamais vraiment sorti de bon du passage de l'Ange" se dit-elle.
Elle le voyait ainsi, la vie n'était jamais simple, qu'on eût cru au sauveur de l'univers ou non. Après son passage en 2040 et en 2050, certains se sont retrouvés défigurés, d'autres mutilés et d'autres encore, les plus chanceux, ont développé des capacités anormales. Son voisin de l'époque, un petit blondinet maigrichon du nom d'Andrew, avait eu la chance de survivre au passage et avait découvert, par un malheureux accident de pêche deux ans plus tard, qu'il pouvait respirer sous l'eau pendant plus de 20 minutes. Tout son corps s'était mis à fonctionner avec le minimum d'oxygène possible, ses organes s'adaptaient à la pression et il n'avait quasiment jamais froid. Les chercheurs avaient passé des mois sur son cas, mais Sora n'avait jamais trop su ce qu'il était devenu et ne s'en était pas préoccupée. Elle avait été, comme nombre de ses collègues de l'époque, exposée. Pourtant, elle n'avait jamais déclaré aucun signe de changement ni n'avait eu la moindre séquelle physiologique. Rien n'avait changé, selon les chercheurs, et rien ne change depuis. Pas d'hallucinations, pas de crises, pas de superpouvoirs, juste des angoisses. Ces satanés angoisses qui ne partaient jamais. Les scientifiques disaient que ce n'était dû qu'aux facteurs génétiques et au traumatisme lié à l'évènement. Quoi qu'ils en disent, ce jour là, tout avait changé. Sa vie avait été radicalement bouleversée, son quotidien, ses amis, sa famille, tout. Avec le recul, elle se demandait encore comment elle avait tenu et fait face à tout ça. Elle rêvait juste d'une vie normale.
*Bip*, *Bip*. Son téléphone vibra. Sora émergea doucement de son sommeil, ses paupières lui pesaient et elle ne rêvait que de se rendormir. *Bip*, *Bip*. Elle regarda l'heure. 00h33. Elle n'avait dormi qu'une poignée d'heure, elle était embrumée et se rendit soudain compte qu'elle mourrait de faim. Elle attrapa une conserve de soupe de légumes et envoya le tout dans un bol, direction le micro-ondes. Elle se doutait de qui lui écrivait à cette heure. Son amie de toujours, Lilas, lui envoyait un message hebdomadaire tous les dimanches soirs, "bien qu'on soit plus lundi matin que dimanche soir" pensa-t-elle. Elle répondit "oui ça va", puis "non, merci" aux deux sms. Elle n'aimait pas spécialement parler après ses rendez-vous mais cette attention, à laquelle elle ne pouvait de toute façon pas échapper, la touchait. Elle entreprit de finir le contenu de son bol de soupe et de compléter en mettant un peu de fromage fondu dans le tout. "Voilà enfin un vrai plat d'automne" se dit-elle. Sans vraiment y réfléchir, elle s'affaissa dans son canapé, alluma la télé et resta là pendant près d'une heure à somnoler. 01h45, le temps coulait vite. Il était temps de dormir. Les vacances étaient terminées et elle reprenait les cours à l'université demain. En enfilant son pyjama, elle pensa à ces quelques jours de tranquillité qu'avaient représenté les vacances automnales et se rendit à l'évidence : "Demain sera une journée bien plus agitée".
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2057
General FictionLe monde a beaucoup changé depuis l'apparition de l'Ange et l'être humain n'a toujours pas appris. Depuis 2040, l'Ange descend tous les dix ans et accorde un souhait à l'humanité, mais son passage laisse des séquelles irréversibles. Dans la période...