A couteaux tirés

19h43. Au fin fond d'un doux rêve

On toque à la porte. C'est ça qui m'a réveillé. Et peut-être mon ventre qui crie famine. Je crois me souvenir d'un muffin de Mélanie avalé en milieu de matinée, puis plus rien.

Je me traine jusqu'à la porte et l'entrouvre. Louis est là, l'air penaud. Il porte un jogging et un sweat, je ne l'avais jamais vu sans son uniforme. Et j'ai du mal à croire qu'il puisse être encore plus beau. Il a l'air doux. On dirait qu'il rentre chez lui, dans son foyer. Avec la personne qu'il aime qui l'attend. Je m'ébroue. Cet homme est marié à son travail, jamais il ne me choisira.

- Salut. Heu, j'ai amené à manger, balbutie-t-il.

Il me montre le sac qu'il tient. J'y lis le nom de mon restaurant asiatique préféré.

C'est rare de voir cet homme, si sûr de lui habituellement, hésitant face à moi. J'ouvre la porte en grand et me décale pour le laisser rentrer.

Il boite et s'assoit en tendant la jambe à même le sol devant ma table basse. Je vais lui chercher un sachet de petit pois congelés pour sa jambe. Il me remercie d'un sourire.

Je me racle la gorge :

- Alors, qu'est-ce que tu fais là Louis ?

Il lance de but en blanc :

- J'aurai pas dû douter de toi. Tu es mon ami et je te fais confiance. Désolé.

J'aurai aimé qu'il s'excuse de ne pas m'aimer aussi fort que je l'aime. Je veux être tout sauf son ami. Mais je ne dis rien de tout ça. J'hausse simplement les épaules en répondant :

- C'est pas très grave ça. Evidemment ça m'a énervé sur le coup. Mais regarde, moi aussi j'avais confiance en David. Et désolé pour... hum t'avoir frappé, je voulais pas en arriver là.

- Je saurai me souvenir que tu as un bon coup de pied. Mais je ne tiens pas spécialement à tester ton crochet.

On rigole doucement. On vit un moment hors du temps et pour rien au monde je ne voudrai le briser. C'est si agréable de savoir qu'il se laisse aller avec moi.

On déguste tranquillement nos nouilles dans un silence apaisé et reposant.

Le corps inerte de la jeune fille qui n'avait rien demandée à personne s'impose à moi et me tire une grimace. Je partage ma pensée avec Louis.

- Pas si innocente que ça la demoiselle, argumente-t-il.

Voyant mes sourcils froncés, il s'explique :

- Elle venait de Miami et devait donner à David cinquante pochons de coke. Ils se sont disputés parce que David a vite compris que la qualité n'était pas au rendez-vous. Puis il est entré dans une colère noire quand il a compris qu'elle avait voulu en garder pour se faire plus d'argent. Il l'a étranglée puis l'a mise dans son lit.

Je frisonne face à l'horreur de son geste. Et ça ne l'a pas empêché de me regarder dans les yeux après. J'ai envie de vomir.

Louis se rapproche de moi et passe son bras autour de mon corps, je m'appuie sur lui et pose ma tête sur son épaule. Je me sens bien ainsi, je voudrais ne plus avoir à bouger. Sa voix est dure quand il me rassure :

- T'en fais pas, on a assez pour le foutre en tôle un bon moment.

- Merci de m'avoir sauvé, encore une fois. Je ne sais pas ce que je ferai sans toi. Tu es vraiment impor-

Il m'interrompt vivement :

- Tu veux une bière ?

J'acquiesce silencieusement. Il se lève en claudiquant. J'ai froid sans son corps autour de moi. Il m'énerve à fuir ainsi la fameuse conversation qu'on doit avoir depuis si longtemps. Quand il revient, j'attaque :

- T'es allé voir Bobby ?

- Ho. Heu, ouais. C'est donc lui que t'es allé voir ce midi.

- Oui mais on s'en fiche. Pourquoi t'es allé lui parler de moi ?

- Il te connaît bien.

- Et alors ?

Je lui arrache les mots de la bouche. Mais je n'en démordrais pas.

- Je voulais savoir si tu étais prêt à t'engager dans une relation.

- Quoi ? Mais pourquoi tu n'es pas venu me demander ça à moi ?

- Je sais pas, j'avais peur je suppose. Tu avais l'air tellement empressé l'autre fois.

Il parle du seul et unique baiser.

- Evidement, parce que j'attendais ce moment depuis une éternité.

Louis rougit. Je l'encourage intérieurement : allez, tu peux le faire, demande moi d'être ton mec.

Malheureusement, il reprend vite contenance.

- Tu vas avoir besoin d'un nouvel assistant.

Je lève les yeux au ciel. Je vais vraiment être obligé de l'attacher à mon lit cet idiot là.

- Ouais, je m'en occuperai plus tard. J'ai pas vraiment envie de lire des CV et faire passer des entretiens là.

- Parce que j'ai quelque chose à te proposer, enfin à te dire. Mais c'est toi qui décides et tu peux dire non sans problème et-

Impatient et désormais curieux, je le coupe :

- Accouche !

- Et bien ma sœur Lottie, qui a 22 ans, vient de finir ses études et elle cherche un boulot. Elle est très gentille et travailleuse. Et comme ça je pourrai passer la voir, enfin vous voir, de temps en temps, pas trop souvent évidemment pour ne pas t'embêter. Juste pour faire coucou et s'assurer que tout va bien pour toi... Enfin pour vous !

- Attends, est-ce que tu es entrain de chercher des excuses pour me voir quotidiennement ?

Cette fois, il devient rouge pivoine et je crains qu'il s'évanouisse. J'aime bien quand les rôles s'inversent, lui qui est toujours si maitre de lui-même, à cadenasser ses émotions.

- Harry. Je crois que tu ne te rends pas vraiment compte d'à quel point tu es impressionnant. Tu es gentil, patient, généreux. Tout le monde t'adore. Et je suis putain de terrifié. Je veux faire les choses biens et ne pas aller trop vite. J'aimerai que ça dure longtemps entre nous. Parce que je suis fasciné par toi.

Un sourire débile prend place sur mon visage. Enfin. Je rêve depuis si longtemps de ce moment.

- Et bah voilà, tu y es arrivé à faire ta déclaration.

- Mais tu te moques de moi en fait ?

- Ho à peine.

- Tu es si cruel. Je ne sais pas comment j'ai pu tomber amoureux de toi.

Je jubile. Il l'a dit.

- Faut que tu me proposes un rencard maintenant Loulou.

Il maugrée dans sa barbe. Mais je sens que je vais rapidement avoir le droit à un repas aux chandelles.

THE END