Le rideau tombe sur une arène d'un diamètre légèrement plus petit que celui de l'arène en usage depuis dix ans. La lumière est plus vive et colorée, des bonbons géants sont agencés sur le plateau, des répliques en résine des héros des séries pour enfants en vogue sont figés dans des postures de combat avec pour certains de grands sourires, pour d'autres des rictus de haine.
Et voilà, pour vous, les Rois de l'Arène JU-NIOR ! Il y aura quatre catégories, et aujourd'hui débute la catégorie des six à dix ans. Mais avant d'aller plus loin et de vous expliquer en détail le programme qui vous attend ces prochaines années, je vous demande un tonnerre d'applaudissements !
Léa, de retour de la salle de bain, cheveux secs et habits relax, revint à ce moment se coller à son mari et l'embrassa. Comme il restait immobile, la bouche ouverte elle se tourna vers l'écran, le regarda à nouveau, tenta vainement un sourire, puis tourna sèchement la tête vers l'écran, ses pommettes se relevant vers ses yeux plissés.
- Ho non… pas ça…
…C'est que rien ne change sur le fond. Les règles restent les mêmes. C'est bien sûr un combat par an maximum, avec impossibilité de quitter l'aventure sans une épreuve surprise. Bien évidemment, vous, public, n'avez aucun pouvoir de décision. Vous vous rappelez sans doute de ces vieilles émissions où l'on vous faisait voter, où tout était truqué, joué par des comédiens et où le seul but était de vous abrutir, de faire baisser votre vigilance et de prendre au passage un peu de votre argent lors des votes…
Un grand "Bouuhh" parcourt un public acquis, en transe, tapant des pieds.
Tout ceci est révolu et nous continuons de laisser le pouvoir entre les seules mains des participants. Aujourd'hui le monde vous appartient et plus personne ne peut décider à votre place ! Vous vouliez cette émission, symbole de votre liberté. Vous vous êtes battus et nous vous avons aidés de toutes nos forces. Mais nous n'y sommes pour rien sur le fond. Du simple citoyen aux associations créées pour l'occasion, vous avez une fois de plus montré que le monde, je le répète, vous a-ppar-tient !
Chaque spectateur se lève alors et un grondement monte lentement. Ce qui n'était qu'un brouhaha pendant quelques secondes se structure peu à peu. Les deux côtés de la salle se tournent l'un vers l'autre et la phrase de l'animateur est transformée en un slogan scandé sur un rythme tribal. A gauche, le public hurle "Le monde…', tandis qu'à droite il se répond à lui-même "…Nous appartient !". Pendant de longues secondes, la communion est complète. Une joute est simulée entre les deux camps qui ne font qu'un, sorte de célébration de leur victoire.
Le-Monde… Nous-A-ppar-tient !... Le-Monde… Nous-A-ppar-tient !... Le-Monde… Nous-A-ppar-tient !...
De manière saccadé au début, séparant bien chaque syllabe, puis de plus en plus vite, avant de conclure par un énorme vacarme où hurlements et sifflets se mêlent à leur paroxysme. Puis au milieu, dans l'allée qui sépare le public en deux, les personnes de chaque côté se tombent dans les bras l'un de l'autre. Des larmes, des embrassades, des félicitations, des tapes dans le dos, puis, lentement, le calme revient.
Mes amis… mes amis… il est temps d'accueillir le premier participant qui, quoiqu'il arrive, laissera sa trace dans l'histoire du divertissement au sens noble du terme, comme vous avez voulu qu'il soit. Mesdames et messieurs, sans plus attendre, veuillez acclamer Danny !
La lumière baisse lentement sur l'arène, la musique de l'émission retentit alors que des feux d'artifices explosent derrière l'entrée en scène du premier candidat. La fumée se dissipe peu à peu et l'on voit une petite ombre hésitante, tournant la tête, visiblement interrogatrice. Un bras lui tape sur l'épaule et le pousse, l'ombre se transforme alors en une silhouette claire à mesure qu'elle avance vers l'animateur, d'un pas décidé. Danny a six ans, il est blond, plutôt grand pour son âge, il n'est vêtu que d'un short de boxeur. Il lève les bras au dessus de sa tignasse ébouriffée, un sourire jovial collé au visage. Une dizaine de mètres derrière lui, une femme lui emboîte le pas. Lorsque Danny arrive à hauteur de l'animateur, la femme regarde le public en levant timidement les bras, les yeux embués, ses lèvres en un sourire de soulagement comme s'il elle avait attendu toute sa vie d'être là.
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Prime Time
Short Story2032. Une émission en vogue depuis dix ans prend un tournant inattendu qui trouve son origine presque quinze ans auparavant au cours d'une autre nouvelle qui paraîtra bientôt sur mon blog (52 nouvelles en 52 semaines).