Rendez-vous au bar

2 0 0
                                    

Il ouvre la porte du bâtiment délabré. La lumière rouge tamisée l'accueille de la même manière que le piano accompagne ses pas se rapprochant du bar. Le barman le salue d'un hochement de tête. Il le sait, moins il parle, plus le client le paiera gracieusement. L'homme s'installe sur le siège rehaussé, laissant ses bras reposer sur le comptoir. Il contemple le lieu. Le cabaret est simple. Un bar, quelques tables circulaires et leurs chaises en velours. Une estrade se trouve dos à lui, c'est là que sont joués les morceaux de blues. La seule excentricité du lieu est peut-être ses rideaux venus de Chine. Son rouge a vieilli mais ses motifs dorés restent bon à contempler. L'homme commande son premier verre, du cognac. Il en prend une gorgée, la plus amer pour lui, comme toujours. Le pianiste fini son morceau et en entame un nouveau. Un saxophone le rejoint pour le refrain. Qu'est-ce qu'il a hâte que la chanteuse arrive. Ah, la chanteuse... Une magnifique femme noire. Elle sourie toujours quand elle chante, faisant ressortir merveilleusement bien ses dents d'ivoire. Certes elles n'étaient pas très droites, il lui en manquait une d'ailleurs mais l'homme ne voyait pas ce qu'on pouvait reprocher à ça. Son nez était bien tout cabossé à lui. Les musiciens s'arrêtent. Il tourne la tête vers la scène après avoir terminé sa dernière gorgée. Ça y est. Elle est là. Toujours à la même heure. Le pianiste commence les premières notes. Très douce. Elles ne rendront la voix de la chanteuse que plus voluptueuse. Et il a raison. Sa voix porte son âme en dehors de son corps. Quel pouvoir envoûtant. Même quand la tonalité augmente et que la batterie s'ajoute il n'entend que tendresse. Le barman lui tapote la bras, le faisant se redresser. La chanteuse n'est plus là, il n'y a plus qu'un guitariste. Combien de temps était passé ? Il regarde le serveur. Celui-ci lui tend un autre verre de cognac. Quand l'a-t-il commandé ? Dieu, que la voix de la chanteuse le sortait de lui-même. Il ne devenait qu'un automate guidé seulement par sa voix et non plus par le temps. Ça s'était terminé trop tôt à son goût. L'homme avale en deux en trois goulées sa boisson et paye. Il se lève et se dirige vers la sortie. Demain encore il viendra. Demain, en fin d'après-midi, peut avant l'heure du soupé, pour l'écouter, une nouvelle fois.

La valse des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant