La plume était en suspension au-dessus du parchemin clair. Dans la tête de Régulus, les mots se mélangeaient aux pensées et aux doutes, faisant dériver son esprit. Lorsqu'il s'était assis à son bureau après un long dîner en compagnie de ses parents, et avait déroulé un parchemin, il ne savait pas encore quels mots poser sur le papier, mais avait cru qu'il n'aurait aucun mal à rédiger cette lettre. Pourtant, cela faisait quinze minutes et la plume n'avait pas encore effleuré le papier.Reposant la plume sur son bureau, Régulus se prit la tête entre les mains. Il fallait qu'il mette au clair ses pensées et se concentre sur cette lettre. Cependant, c'était une chose de le dire, et c'en était une autre de le faire. Aucun mot ne semblait pouvoir réussir à dire ce qu'il voulait faire transmettre.
Un soupir de découragement traversa ses lèvres entrouvertes. Il reprit la plume et en trempa l'extrémité dans un pot d'encre. Il fallait bien commencer par quelque chose. Il approcha le biseau encré du parchemin, et lorsqu'elle le toucha, il commença à mouvoir sa main pour former des lettres.
Cher Sirius, écrivit-t-il. Mais sa main avait tremblé d'hésitation et l'écriture était incertaine. Il fut tenté de recommencer, cependant, au fond de lui, il savait que sa main tremblerait encore. S'il prenait un nouveau parchemin, il lui faudrait encore plusieurs minutes pour se décider à écrire les premiers mots.
L'encre avait séché, alors il retrempa la plume dans l'encrier avant de poursuivre le labeur. Quand la plume rencontra à nouveau la texture rêche du papier, Régulus, grâce à un grand effort de concentration, fit abstraction de ses pensées et laissa les mots couler de la plume, il laissa sa main former les lettres, les mots, les phrases. C'était dur, il heurtait sur les mots, souvent, ne sachant comment s'exprimer. Sa main tremblait toujours, mais au fur et à mesure que les mots noircissaient le papier, son écriture se fit plus assurée et les tremblements devinrent rares. Il mit toute sa détermination et sa sincérité dans cette lettre, il allégea son cœur des non-dits qui lui pesaient. Pendant un instant, il redevint Régulus, l'enfant qui racontait ses problèmes à son grand frère. Il crut presque sentir le souffle chaud et rassurant de Sirius contre sa nuque, comme lorsqu'il l'étreignait quand ils n'étaient encore que deux enfants, deux frères qui se portaient un amour sans limites.
Mais Régulus enfant avait disparu, laissant place à un jeune homme au cœur meurtri, au visage tiré par les responsabilités et la culpabilité. Oui, l'enfant avait disparu ; peut-être restait il encore enfui au plus profond de son être, mais le poids de l'âge adulte qui pesait sur ses épaules l'empêchait d'émerger.
Sur le parchemin jauni, l'écriture fine et droite du Serpentard avait écrit ces mots :
" Cher Sirius,
Tu te souviens quand tu as reçu ta lettre de Poudlard ? Tu étais excité de quitter la maison, tu en avais déjà marre de nos parents et de leurs idées. Moi, j'avais pleuré. J'étais heureux pour toi, oh oui, mais j'avais peur que tu m'oublies au profit de tes nouveaux amis. J'allais être seul pendant une grande partie de l'année, et la simple idée de cette solitude suffisait à me tordre les entrailles. Mais tu m'as serré dans tes bras et tu m'as dit que rien ne nous séparerait jamais. « Promis ? » je t'ai interrogé. « Promis » tu m'as répondu. Après tout, on était frère et on s'aimait plus que tout, non ?
C'est la dernière fois que tu m'as étreint comme cela. Tu as été chez les Gryffondor. Je me souviens du jour où Père et Mère l'ont appris. Mère est entrée dans une rage folle. J'ai eu peur, très peur. Je n'avais qu'une envie, c'était de m'enrouler dans tes bras et tout oublier, qu'on retourne jouer comme avant. Mais pas une fois tu ne m'as envoyé une lettre. Les premiers jours, tous les matins je regardais par la fenêtre en attente du courrier en espérant reconnaître ton écriture sur une des lettres, mais en vain. Quand tu es rentré à la maison, tu m'as à peine adressé un regard et tu es monté t'enfermer dans ta chambre. Tu t'étais éloigné.
Et puis, je suis rentré à Poudlard à mon tour. Serpentard pour moi, Gryffondor pour toi. Ces décisions du Choixpeau ont été ce qui a rompu définitivement nos contacts. Les seuls regards que l'on se lançait étaient empreints de mépris. Les premières semaines, j'ai cru déceler du regret dans nos regards, mais je crois qu'aucun de nous ne voulait faire le premier pas. La foutu fierté des Black, n'est ce pas ?
J'ai commencé à fréquenter les mauvaises personnes, j'ai fait les mauvais choix. Pour me venger, peut-être... Je ne sais pas. Je pourrais te dresser toute une liste d'excuses, mais la vérité, c'est que je n'en ai aucune. J'ai merdé du début à la fin.
Tu sais, Sirius, si je détestais tant tes amis, c'est que je leur en voulais. Ils m'avaient volé mon frère, et je leur en voulais à ne pas penser pouvoir leur pardonner un jour. Aujourd'hui, je pense ne toujours pas avoir réussi, mais si je leur suis reconnaissant d'une chose, c'est de t'avoir permis de ne pas faire les même choix que moi.
Quand j'ai commencé à recevoir des ordres du Seigneur des Ténèbres, je répugnais à l'idée de les exécuter. Tuer des Moldus ou les torturer ne me plaisait pas. Mais cela avait rendu toute la famille si fière, que j'avais fini par me convaincre que c'était ce qu'ils méritaient et que c'était mon devoir d'obéir au Seigneur des Ténèbres. Putain, j'étais con.
Si je t'écris cette lettre aujourd'hui, c'est parce que je vais essayer de réparer mes erreurs. J'ai découvert quelque chose qui pourrait aider à détruire le Seigneur des ténèbres. Il a enfermé une partie de son âme dans un objet, et je sais où trouver cet objet. Si je le détruis, je pense que cela va détruire une partie de son âme. Je nourris l'espoir de l'affaiblir pour que d'autres puissent le tuer.
Je pars demain et je ne pense pas revenir.
Quand on était petit, mon rêve, c'était que tu sois fier de moi. Rien ne me paraissait plus beau que la fierté de mon frère. J'espère encore réaliser ce rêve.
J'ai merdé, Sirius. Sur tout. Je ne te demande pas de me pardonner, je te présente juste mes excuses en espérant que tu les accepteras.
J'aurais aimé pouvoir t'offrir avec cette lettre nos plus beaux souvenirs, te montrer que je t'aime, mais je ne peux pas. Je sens que j'en aurais besoin le moment venu, pour ne pas perdre de vue mon objectif.
Je me dirige vers la Mort les bras ouverts, et j'ai peur. J'ai peur. J'aurais aimé une dernière étreinte avant de quitter ce monde. C'est tes bras et tes mots que je veux.
Fais attention à toi, grand frère.
Je t'aime Sirius.
Ton frère, Régulus. "
Sans qu'il ne s'en soit rendu compte, les larmes avaient coulé sur les joues de Régulus. Elles ruisselaient le long de sa peau puis tombaient une à une sur son T-shirt. Il ne sanglotait pas, non ; son corps n'était ébranlé par aucun soubresaut, les larmes tombaient juste d'elles-mêmes, comme si c'était leur destinée, comme si elles suivaient un chemin tout tracé. Elles pleuraient sa vie, elles pleuraient ses erreurs, elles pleuraient ses regrets, mais elles pleuraient aussi ses réussites et ses fiertés. Elles pleuraient son amour et elles pleuraient sa haine.
Vidé de toute énergie, Régulus s'endormit là, sur son bureau, au-dessus d'un parchemin aux mots tremblotants, incertains, mais sincères, les yeux encore humides mais le cœur allégé.

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Te rendre fier - R.A.B
FanficLes derniers instants de Regulus Arcturus Black... ************* Fanfiction Harry Potter sous forme de nouvelle courte ************* Le dessin de ma couverture a été réalisé par la talentueuse Flor (compte Instagram: @art_byflor ), qui m'a donné l'a...