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Ma vie jusqu'à aujourd'hui... Comment la décrire ? Pleine de "canards", de couacs comme on dit plus couramment. Je crois que le premier a été ma naissance. Inopportune, bien entendue. Mes parents ne pensaient pas avoir de jumelles. Et, bien entendu, première arrivée, première servie. C'est ma sœur Aglaé qui a tout eu. Moi, pour les quelques 15 minutes de retard, j'ai non seulement eu droit au prénom pourri (quelle fille voudrait s'appeler Alexandre ? Je préfère le diminutif Alex, ça permet de laisser un peu d'espoir quant à la fin de mon prénom), mais en plus à ne pas être reconnue par mes parents. C'est comme si je n'existait pas. Je n'étais rien, si ce n'est du vide. Et encore, non, le vide c'est précieux car difficile a obtenir en grande quantité, mais moi, qu'étais-je pour eux ? Un mouchoir usagé peut-être, quelque-chose à mettre à a poubelle. Un microbe. Quand j'étais petite, j'étais proche de ma sœur. Ça a changé. Après toutes les saletés qu'elle m'a faite, on pourrai croire que c'est ma pire ennemie, et pourtant non. Je ne peux m'empêcher d'éprouver de la compassion et de la pitié pour elle. Oui, de la pitié. Étrange, n'est-ce pas ? C'est vrai, au début je l'ai haïe. Pourquoi changeait-elle ainsi de personnalité, du jour au lendemain ? Par jalousie, naturellement. On venait de me découvrir un don pour la musique, particulièrement pour le piano et le violon (surtout le violon), et nos parents commençaient à s'intéresser un peu plus à moi, eux qui ne l'avaient jamais fait. J'étais heureuse comme tout, pensez-vous, à 6 ans, mes parents me témoignaient enfin un peu d'attention, si ce n'est de l'amour, je vivais pleinement ma passion, et puis ma sœur ne m'en voulait pas, je lui avais demandé. Enfin, c'est ce que je pensais. Ce qu'elle m'avait dit. Mais elle m'avait menti, et quelque jours plus tard, on lui découvrit à elle un talent pour la danse classique. Mes parents n'avaient sûrement pas assez d'énergie pour nous soutenir toutes les deux dans nos projets, alors ils n'ont pas réfléchi, ils ont fait comme d'habitude : ils soutenu leur préférée. Ce fut le début de l'indifférence générale. J'étais, moi, le petit génie de la musique, invisible. Mais je suis positive de nature. Je me forçais à voir les bons côtés: j'avais entendu tellement de personnes qui se suicidaient parce que leurs parents ne voulaient pas entendre qu'ils ne voulaient pas devenir musicien, par exemple, que je me disais que je n'avais pas besoin de me mettre la pression. J'avançais à mon rythme et c'était très bien ainsi. D'autant plus que l'argent n'était pas un problème. Je savais que déjà que je partirais à ma majorité, j'avais tout préparé: je m'étais offert un violon sur mesure, il était parfait selon moi: non seulement, il avait des mensurations parfaites, mais le son qu'il créait, ce son, si mélodieux, si...magique... J'étais transportée à chaque fois que j'en jouais. J'avais acheté un piano, avec des notes pleines et claires, fluides. J'avais refait ma garde-robe, aussi. Avec un peu de tout dedans, de mon style habituel, cool, un peu punk sur les bords, aux tenues de soirées, plus soutenues. Avant, j'ai laissé entendre que mes parents m'avaient tout le temps laissé seule, qu'ils ne m'avaient pas éduquée, c'est faux: si je dois leur reconnaitre quelque-chose, se serait ça: ils m'ont apprit la politesse, « l'étiquette », tous les soirs ou presque, une heure de torture pure et simple au début, une habitude lassante à la fin. Mais toujours pleine de reproche, amères, contenues, pleines de rage, de colères, de larmes réservées à l'intimité, tellement de disputes, de besoin naturel de réconciliation, mais pourtant, toujours cette barrière invisible entre nous, entre moi et le reste de ma famille, un barrière parfaite et infranchissable nommée Aglaé, "rayonnante de beauté" en latin. Elle l'est toujours. Mais je ne me leurre pas: si ils ont fait ça, c'est pour eux, pas pour moi: qui voudrait d'une fille malpolie en société? Et moi, comme une sotte, je leur ai toujours obéi, je n'ai jamais réfuté leur autorité. Enfin, on peut dire que ça aura servi: nous habitions alors dans le sud de la France, et j'avais été sélectionnée pour entrer au conservatoire national de Paris, quel honneur! j'avais alors 18 ans. Et puis, j'ai été renvoyée. Une stupide histoire de garçon. Il s'appelait Tom. Il voulait faire entrer sa sœur au conservatoire, et pour ça, il fallait que quelqu'un parte; il avait jeté son dévolu sur moi, la meilleure de ma promotion, afin que je "n'éclipse pas le talent incommensurable" de sa sœur chérie adorée. "Moi, au moins, ma sœur me soutient , et je la soutiens pas comme toi!", m'avait-il craché à la figure avant de me quitter. Et c'était vrai. J'avais cru l'aimer, et que lui m'aimait, il faut dire que jamais je n'avais eu droit à de l'affection, alors ce qu'il me donnait, une miette, me paraissait être une montagne! Ce qui me dégoute le plus dans l'histoire, c'est de lui avoir offert toutes mes « premières fois ». De lui avoir confié mes secrets. J'avais donc eu longtemps, une année entière pour méditer sur ma vie. Et c'est là que je me suis rendue compte que, finalement, Aglaé méritait plus ma pitié que ma colère: après qu'elle eut totalement raté sa première année de médecine, nos parents l'avaient envoyé en Russie, pour "perfectionner ses pointes, sa souplesse et sa grâce". Je savais à quel point, là-bas, l'entrainement était rude et la situation politique extrême, peut-être encore plus pour une Française . Tout comme je savais que, même si elle était douée, elle n'aimait pas tant que ça la danse classique. Elle s'était lancée juste pour me faire concurrence. Ça avait évidemment marché. Je m'étais quelques temps éloignée de toute pensée s'apparentant de près ou de loin à Tom, avant d'y revenir. Et je ressentais toujours ce besoin immuable de vengeance. Je le ressens toujours d'ailleurs. Je sais que, un jour où l'autre, je vais obtenir gain de cause. Quoi qu'il m'en coûte, même ma vie; de toute façon qui s'en soucie? Je ne suis de loin pas irremplaçable. Ma famille proche fera semblant de porter le deuil, ou pas d'ailleurs, puis tout reprendra son cours normal, en mieux même, il n'y aura pas de chose qui gêne. Et nous voilà à aujourd'hui. Dans le magnifique loft parisien que mes parents m'ont acheté (devant toute la famille, bien entendu, à quoi sert un acte généreux si on ne le montre pas ?) pour me "féliciter de mon entre au conservatoire". Ça, c'était la version officielle. La version officieuse, c'était qu'ils me l'avaient acheté pour se débarrasser de moi. J'y suis depuis presque cinq ans, et j'y suis bien, dans ce gigantesque loft qui n'a pas moins de quatre chambres d'ami ! Que voulez-vous, mes parents on la folie des grandeurs... Mais ne pensez pas que durant ces année je n'ai rien fait, bien au contraire: j'ai voyagé partout dans le monde, et me suis fait des relation. La plupart des gens étaient impressionnés de voir une "gamine" de 19 ans voyager seule. Puis, grâce à ces relations haut placée, j'ai fondé ma propre entreprise qui a très vite marché de façon spectaculaire, « Élixise » (comme un élixir de longue vie (pour nous ou la Terre)- mon entreprise est très axée écologie- tout comme moi d'ailleurs, qui l'aurait cru ?-), spécialisée dans tout ce que j'aime appeler « vie de demain » : je crois qu'il faut de toute urgence essayer de si ce n'est l'améliorer, au moins de pas aggraver la situation écologique. J'ai d'abord commencé par les énergies renouvelables, à en fabriquer, en vendre, à produire du matériel pour que les personnes -particulier ou autres- en produisent eux-mêmes. Puis, je me suis associée avec un talentueux architecte aux bâtiments futuristes et écoresponsables : je lui envoyais des clients, je produisais tous les matériaux dont il avait besoin , en échange il ne les achetait que chez moi, faisait des maisons d'excellente qualité et respectait l'étique, construisait des bâtiments pour tous les niveaux sociaux; je prenais ma part pour chaque bâtiment construit. Malheureusement pour lui (au final, c'est quand même moi qui en aura bénéficié) son cabinet a été brûlé, et l'assurance ne l'aura pas remboursé- un problème de détecteurs de fumée déficients, je crois. Toujours est-il qu'il aurait pu s'en relever si sa femme n'avait pas décidé de divorcer au même moment, empor tant une importante somme d'argent avec elle en même temps. Je l'ai donc employé, lui et son équipe, dans la première filiale d'Élixise. Puis, ça a été au tour de plusieurs filiales écoresponsables : une alimentaire, bio, bientôt suivie d'une marque de cosmétiques, puis de meubles, avant de nous étendre dans tous les pays d'Europe, et tout ça en 5 ans. Comment ? Premièrement, le plus important, grâce à d'excellents PDG et conseillers : je n'avais aucune expérience pour gérer une entreprise, mais je m'étais faite une amie, qui était avant ça au chômage, et qui excelle en la matière : Jade Martin est la cadette d'une grande famille de riches PDGs et autres cadres élevés, qui a par conséquent terminé ses étude en dernier. Elle avait toujours été, un peu comme moi, ignorée par ses parents, à moindre mesure cependant. Elle avait toujours voulu être indépendante vis-à-vis de sa famille mais peinait à trouver du travail et était sur le point d'accepter la proposition d'occuper un poste haut placé dans la multinationale familiale, lorsque je lui ai proposé de devenir PDG de la mienne (est-il utile de préciser que désormais, à part Jade, toute la famille Martin me hait ?). Cela dit, je suis quand même au dessus d'elle au niveau hiérarchique en temps que fondatrice et co-PDG d'Élixise, mais cela va très bien à Jade, elle m'a même avoué qu'elle préférait ne pas être la seule à faire des choix parfois difficiles. Pourtant, quand elle se met en colère, elle n'y va pas de main morte. Voici une conversation qu'elle m'a rapporté, mais avant tout, il faut planter le décor : je voulais alors négocier un contrat avec l'entreprise de matériaux électriques en tous genres que mon père préside, mais le jour où je devais y aller, j'étais très malade, Jade y est donc allée seule. J'avais alors pour habitude de passer les détails sur ma relation avec ma famille, elle ne savait donc pas que je ne leur parlais pas ou très peu, et qu'il était mon père. Mon père lui-même ne connaissait que le nom de l'entreprise, et comme la plupart, pour ne pas dire tous, les papiers sont signés par Jade, il connaissait donc aussi son nom :

PAPA : Bien, je crois que nous avons vu tous les aspects, nous pouvons donc signer tous les papier nécessaires.

JADE : Oui, il me semble aussi. Il est vraiment dommage que votre fille n'ait pas pu se déplacer, mais vous devez être fier d'elle.

PAPA : Hem, en effet, je suis plutôt fier d'Aglaé, mais elle ne se déplace généralement pas de Russie lors des contrats que je signe, aussi importants soient-ils...

JADE : Mais enfin, pas Aglaé, Alexandre !

PAPA *interloqué*: Alexandre ?!, Mais enfin, je n'ai pas d'autre fille, et encore moins une qui s'appelle Ale...

Il s'interrompit alors brutalement devant Jade qui hochait la tête avec mépris (je l'imagine très bien, ses fines lèvres pincées, tout comme son nez à l'arrêté droite, ses grands yeux verts plissés, en train de frotter son pouce droit contre son index et majeur ) :

PAPA : Mais oui, Alexandre, bien sûr, la jumelle d'Aglaé ! Mais que vient-elle faire ici ? Elle est en ce moment même en Afghanistan en train de lutter contre le port du voile intégral... Non ?

JADE *froidement* : Pas vraiment, non. Elle est clouée au lit avec une fièvre fulgurante. Quant à ce qu'elle vient faire ici... C'est la fondatrice d'Élixise, et nous gérons cette multinationale ensemble.

PAPA *avec un rire nerveux* : Hahaha... Quelle bonne blague, Mlle Martin, vraiment... Ahlala ! Je ne vous savez pas aussi sarcastique, très chère !

JADE : Mais ce n'est pas une blague, monsieur. Elle a fait des grandes choses, au point que les journalistes se pressent à mon téléphone pour connaître, ne serait-ce que à quoi elle ressemble, où elle habite, la moindre chose pouvant être personnelle. Mais elle s'est bien protégée, ils n'arrivent pas à la trouver. Il faut dire qu'il cherchent pour un homme, et c'est bien le seul bon côté qu'elle trouve au prénom que vous lui avez donné. Maintenant je vais partir, sans signer le moindre papier, et aller de ce pas la voir, lui répéter mot pour mot cette conversation, et si elle accepte encore de signer ce damné contrat, vous aurez alors une chance que vous ne méritez pas. Personnellement, je ne le ferait pas, mis votre fille a trop grand cœur.

...Avant de sortir en claquant la porte, et cassant au passage la vitre de la porte, laissant sur place, mon père et les autres haut représentants de son entreprise.

Et c'est ainsi que je me retrouve maintenant dans le Paris embouteillé et fumant de pots d'échappements, me dirigent en jean/chemise/talons vers cette « damnée entreprise » comme l'a si joliment formulé Jade.

Ça y est. Le contrat avec mon père a été signé. Devant témoins. Mon géniteur n'en menait pas large, toute l'entreprise avait entendu parler de sa "petite discussion" avec Jade et le fusillait du regard. Après la signature, il était "discrètement" venu me voir pour s'excuser -sous le regard approbateur de toute son équipe en fait-, et j'avais eu le forte impression qu'elle lui avait ordonné. Il me fit ce que d'aucuns pourraient appeler un banal discours de réconciliation, mais je ne suis pas sûre qu'il m'ai jamais autant parlé, qu'il n'a jamais posé tant de mots côte à côte dans le but de me parler, à moi, de sa vie. Je le lui ai fait le remarquer avant de m'en aller, il a fait une tête étranglée sous le fou rire que Jade tentait en vain de cacher, et celui de certains des membres du Conseil d'Elixise. Moi, je n'ai fait aucune tête en particulier, mais après la signatue de ce contrat -que, au passage, ils avaient dû fêter à coups de Champagne- je suis rentrée chez moi et ai dit à Jade de faire pareil, elle l'avait bien mérité, nous avions passé ces derniers mois à écrire ce foutu contrat. J'était en train d'apprendre un morceau de violon par cœur, lorsque Jade m'appela:

« Allo, Alex? C'est horrible! Ils sont partout! Toi aussi?

- Moi aussi quoi? Calme toi, et explique-moi clairement.

- Mais les journalistes! Les reporters! Les... Enfin, tout ce que tu veux! Ils ne sont pas aussi chez toi?

- Non, je ne crois pas... Attends, je vérifie...Non, je n'en vois aucun...Mais pourquoi?

- Si seulement je sav...

J'entendis alors une voix masculine derrière elle, mais ne put déterminer ce qu'elle disait. Il y eut un petit temps avant qu'elle ne réponde à mes nombreux " allo" et " ça va ?":

- Regarde les infos, moi, je vais me coucher, souffla-t-elle avant de raccrocher. »

D'accord... C'est bien la première fois que Jade me raccroche au nez, ça doit être important...

Il n'était que 16 heures.

Ma vie de notesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant