Romane

Chapitre 21

C'est avec une joie immense que je suis retournée la semaine dernière voir Galadriel. Cela faisait plusieurs semaines que je n'avais pas rendu visite à celle que je considérais comme ma plus grande professeure, mentor, conseillère ; et elle m'avais manquée.

Pour elle cependant, le temps s'écoulait différemment : ce n'était même pas une histoire de relativité comme Einstein aurait pu en parler. Cela n'aurait pas pu être démontré en synchronisant deux horloges atomiques, puis en en mettant une en orbite et une sur terre afin de constater leur décalage. Idem avec un chien dans une Dolorean légèrement trafiquée. Non, car dans ces exemples, on considérait que le temps était un flux continu, à l'instar d'un fleuve, qu'on pouvait éventuellement remonter, ou comme plusieurs rivières coulant en parallèle et à des vitesses différentes.

Et oui, je m'étais un peu intéressée à ces notions depuis que j'avais réalisé ce qui m'arrivait ; c'est dingue tout ce qu'on trouve sur internet. Un peu trop d'ailleurs : j'avoue m'être souvent perdue lors de ces recherches, à cause de cette maudite barre de droite de Youtube qui propose sans cesse une flopée de vidéos inutiles donc indispensables.

Bref, dans le cas du Monde des Histoires, aucune théorie connue ne s'applique, même celle des multivers, ou univers parallèles, puisque dans mon cas les autres mondes sont directement influencés par le mien, qu'il m'est possible d'arriver à n'importe quel moment de leur trame de temps, et que celle-ci forme une sorte de boucle infinie.

Pour être tout à fait honnête, j'ai fini par abandonner ce désir de comprendre parfaitement tous les concepts qui en découlent, trop complexes pour mon petit cerveau. Et puis j'ai pas mal d'autres choses à faire.

Je choisis cette fois de revenir voir une Galadriel adulte, dans sa demeure nichée au milieu des bois. C'était l'été en Terre du Milieu : le soleil avait commencé sa longue descente vers l'horizon, et l'air bruissait de gazouillis d'oiseaux, de bourdonnements d'insectes et du bruissements des feuilles qui se frottaient l'une à l'autre langoureusement dans l'air chaud de la fin d'après-midi. L'elfe était seule dans son endroit favori, un gros rocher plat tout près d'une rivière. Elle m'accueillit avec un large sourire, caressant Saphir qui était venue se frotter contre ses jambes :
- Romane la Voyageuse ! Cela me fait plaisir de te revoir. Comment vas-tu ? Tu sembles différente de la dernière fois.
- Bonjour Galadriel, je suis moi aussi très heureuse de vous revoir. Vous m'avez manquée, dis-je en m'asseyant à ses côtés.
- Ah bon, cela fait donc longtemps que tu n'es pas venue ?
- Oui, répondis-je d'un air coupable. J'ai eu pas mal de choses à faire, je suis désolée.
- Tu n'as pas à l'être, voyons ! Raconte moi plutôt ce que tu as fait pendant tout ce temps.
- J'ai pris contact avec Ellie, la fille dont je vous avais parlée, et qui pourrait m'aider. Ça s'est plutôt bien passé : on a fait connaissance, et elle est d'accord pour m'apprendre ce qu'elle sait.
- Bravo ! s'exclama Galadriel en tapant dans ses mains joyeusement.

L'espace d'un instant, l'elfe bicentenaire fit place à une enfant de dix ans le jour de Noël. Elle reprit d'une voix enjouée :
- Comment as-tu réussi à la convaincre ? Elle ne t'a pas posé trop de questions embarrassantes ?
- En fait, réponds-je d'un air gêné, j'ai dû lui mentir : je lui ai raconté que je venais d'un autre camp situé à quelques dizaines de kilomètres du sien. Je ne me voyais pas tout lui raconter comme je l'ai fait avec vous lors de notre rencontre.
- Ne rougis pas Romane, c'était sans aucun doute un excellent choix. Je ne t'en avais pas parlé intentionnellement, car je voulais que tu choisisses la manière qui te convenait le mieux. Mais il est clair que révéler à quelqu'un que le monde dans lequel il vit est le fruit de l'imagination de quelqu'un autre peut avoir de graves conséquences sur cette personne, et par extension sur le récit dans lequel elle évolue.
- Mais vous ? Comment l'avez-vous su ? Et pourquoi n'êtes-vous pas devenue folle ?