Vingt-quatre années se sont écoulées depuis ce jour où le monde, frappé d’effroi, vit s’abattre les deux géantes de verre et d’acier, non comme de lointains édifices, mais comme les symboles effondrés d’une modernité mondialisée. Le 11 Septembre ne fut pas seulement une tragédie américaine ; il fut une convulsion planétaire dont l’Europe, vieille sentinelle des catastrophes, ressentit aussitôt le séisme.
Nous, enfants d’un continent pétri de guerres et de ruines, reconnûmes dans ces images une vision trop familière : celle de l’Homme détruisant l’Homme, non plus avec le fer ou la poudre, mais avec l’ivresse d’une idéologie dévorante. Dans la fumée new-yorkaise se reflétaient les flammes de Londres en 1940, les décombres de Dresde, de Varsovie, les pierres broyées de Sarajevo. L’Amérique découvrait brutalement ce que l’Europe savait depuis des siècles : la fragilité des empires, la précarité des certitudes, l’irruption du tragique au cœur du quotidien.
Vingt-quatre ans : le temps d’une génération. Pour beaucoup de jeunes, cette date n’est plus qu’une archive, une leçon d’école. Mais pour l’Europe, dont la mémoire embrasse les siècles, ce 11 Septembre demeure une pierre blanche dans le fleuve de l’Histoire : l’entrée dans un âge de peur diffuse, de soupçon et de surveillance, mais aussi d’interrogation morale sur un monde interconnecté jusqu’à l’étouffement.
Cette tragédie fut aussi révélatrice : elle montra combien notre civilisation, que l’on croyait forteresse, n’est qu’un cristal fragile. Baudelaire l’avait écrit : « le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité » ; ce jour-là, il prit l’avion, s’assit parmi les passagers et vola vers l’Abîme.
Vingt-quatre ans plus tard, il ne s’agit pas seulement de commémorer, mais de méditer, en Européens, sur ce fracas : la civilisation peut se briser en un instant. Le souvenir de ces tours foudroyées rappelle notre tâche : tenir debout, malgré les ruines, dans la dignité du souvenir et la fidélité à la paix.