L'an dernier à Noël

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Un an plus tôt

Sous les yeux émus de mes parents, j'ai soufflé mes vingt-cinq bougies. Mon père a rallumé la lumière une fois la fumée dissipée. Un sourire illuminait nos visages à tous les trois. Pour rien au monde je n'aurais voulu changer cela. Eux et moi, sur la vieille table en bois de la salle à manger, décorée de quelques bougies parfumées et de l'argenterie de ma grand-mère qu'on ne sort qu'aux grandes occasions. Dans la vieille cheminée en pierre, un feu brûlant crépitait, contrastant avec le froid extérieur de la neige qui tombait à gros flocons derrière la fenêtre. Ma mère s'était empressée de ramasser les bougies sur le gâteau au chocolat que nous avions tous les deux préparé dans l'après-midi pour les remettre dans le tiroir sous l'évier, puis mon père avait demandé en riant:

- Alors ! Tu as fait un vœu ?

- Oui.

Ma mère s'était empressée de me demander, curieuse, de quoi il s'agissait. Elle portait sa jupe noire et dorée que j'aimais tant, qui lui donnait un air féérique. Mon père faisait presque tâche à côté, avec sa cravate usée. Je lui avais souri en disant que si je lui faisais part de mon vœu, il ne se réaliserait pas, et le lui révéler briserait toute la magie du souhait. Alors, comme chaque année, ils ont fait leurs pronostics. Mon père a fait dans le réaliste et a suggéré que peut-être j'avais demandé à voir mon équipe préférée gagner le championnat. C'était bien essayé, mais ce n'était pas ça. Ma mère, plus romantique dans l'âme, a supposé que mon vœu était de trouver l'âme sœur. Alors j'ai senti mon cœur se serrer dans ma poitrine, et la réalité est revenue me frapper de plein fouet. L'amour, je l'avais déjà trouvé, depuis maintenant des mois, mais n'avais encore jamais trouvé ni le courage, ni l'occasion pour le leur dire. Et puis, j'avais un peu peur, c'est vrai. J'ai réalisé que c'était ma chance et que je devais la saisir, alors j'ai pris mon courage à deux mains et après une grande inspiration, j'ai répondu:

- L'amour, je l'ai déjà rencontré, Maman.

Mon père a manqué de s'étouffer avec son champagne. Il a toussé, desserrant le nœud de sa cravate grise. Ma mère, surprise, s'était figée. J'ai compris à leurs mines interloquées que ni l'un, ni l'autre ne s'y attendaient, ce qui n'était pas si étonnant. Il faut dire que je n'avais jamais vraiment eu de relation sérieuse auparavant, et que j'ai toujours privilégié mes études à l'amour. C'était probablement par peur de m'engager, peut-être aussi car je n'avais jamais rencontré la bonne personne jusqu'ici, rendant l'annonce encore plus forte et symbolique. Je me souviens avoir vu ma mère, un sourire jusqu'aux oreilles, poser mille et unes questions sur ce qu'elle espérait être une future belle fille idéale.

- Comment est-elle ? Décris-la moi.

- Elle a fait quelles études ? a enchaîné mon père. Tu l'as connue à la fac ?

J'ai commencé à tordre mes doigts dans tous les sens, une mauvaise habitude prise durant mon adolescence qui revient chaque fois que je suis stressé ou mal à l'aise. Ils ne se doutaient pas une seule seconde, bien sûr, que la personne qui faisait mon bonheur n'était pas une femme. J'ai fixé le plafond quelques secondes, pesant le pour et le contre de cette situation. Il n'était pas trop tard pour faire machine arrière, et soit leur mentir en inventant une petite amie imaginaire soit en disant que je les faisais marcher, et qu'il ne s'agissait que d'une blague de mauvais goût. Cependant, j'étais si amoureux que je ne me voyais pas garder cette joie pour moi. Souriant et fier, j'ai annoncé:

- C'est un garçon. Il se nomme Harry, et il fait du droit, comme toi Papa. Il est merveilleux, il vous plairait j'en suis sûr. Maman, si tu le voyais, il joue du piano lui aussi, c'est un passionné de musique. On s'est rencontrés il y a six mois. J'ai attendu que ce soit vraiment sérieux pour vous en parler.

Je sentais mon cœur battre la chamade en prononçant ces mots. Je débordais d'amour pour Harry, et j'aurais pu passer des heures encore à leur vanter ses louanges et innombrables qualités si ils ne me fixaient pas comme ça. J'ai bien vite lu la surprise dans leurs yeux et le choc sur leur visage. Mon euphorie que j'espérais jusque-là partager avec eux s'est dissipée, laissant place à la panique. Jamais je n'aurais imaginé qu'ils puissent mal le prendre car ils m'ont toujours semblé ouverts sur le sujet, mais peut-être m'étais-je trompé. Bien sûr, je savais qu'ils ne sauteraient peut-être pas de joie, mais je croyais au moins avoir leur soutien. J'ai vu les phalanges de mon père devenir blanches tant ses poings étaient serrés, et en tournant la tête vers ma mère et sa tête baissée j'ai compris qu'en effet, j'avais tort. Mon père s'est levé de table bruyamment, et a quitté la pièce sans un mot. Ma mère, elle, a complètement changé de sujet, et m'a proposé une part de gâteau. Contrairement à avant, son sourire était faux, et je ne savais pas encore que plus jamais je ne verrais l'amour sur son visage. Mon père n'est revenu qu'une demi-heure plus tard, et n'a rien dit non plus. Ses yeux étaient rouges, et pour la première fois de ma vie, j'avais vu mon père pleurer. Personne n'a évoqué Harry à nouveau, pourtant sa présence était partout dans l'ambiance pesante qui régnait autour de la table.

Je suis parti le lendemain midi, après l'ouverture des cadeaux dans une ambiance étrange et silencieuse, car je devais remonter sur Paris pour travailler. Mon père m'a serré la main, et ma mère m'a fait signe. Pas d'embrassades, pas d'accolades, et pas d'au revoir larmoyant et chaleureux comme nous en avions pourtant l'habitude. J'ai eu envie de leur dire que j'étais toujours leur fils, toujours le même homme, et que je n'avais pas changé. Je voulais leur dire que je les aimais, pour qu'ils me répondent qu'eux aussi, mais je savais au fond de moi que leur réponse ne serait plus aussi sincère. Alors, sans un mot, j'ai mis le contact de ma vieille Clio grise, et ai pris la route. Ce n'est qu'une fois la maison disparue dans le rétroviseur que je me suis autorisé à pleurer, en repensant au vœu prononcé la veille, en soufflant mes bougies d'anniversaire.

"Que ces moments durent jusqu'à la fin de mes jours."

C'est la toute dernière fois que j'ai vu mes parents.

Dites-moi comment ça va [LARRY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant