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- la peur

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« EN RANG JEUNES FILLES. »

Felix se tenait au fond de la file, bien droite pour ne pas se faire taper sur le bras par l'institutrice sévère. Les autres filles de la classe de Felix, toutes au nombre de quatorze, ne faisaient aucun bruit. Felix jeta un regard sur un pan de mur sur sa droite. Ses yeux rencontrèrent un tableau de la Reine peint à l'huile : son regard ne trahissait aucune émotion, ses lèvres étaient peintes en rouge, ses cheveux blonds ondulaient autour de son visage de porcelaine ainsi que sur ses épaules tout en cascadant dans son dos, une couronne aux gros diamants bleus et perles trônait fièrement sur le haut de son crâne, et sa robe bleu foncé portait une légère fourrure penchant vers le noir et ses mains bien manucurées se joignaient. Tout en elle faisait ressortir une Reine dont la froideur de sa posture et de son apparence ne pouvait la rendre que plus dangereuse et implacable.

L'institutrice se racla la gorge et défroissa un papier qu'elle tenait. Cela attira de nouveau l'attention de Felix qui tritura ses doigts. Un peu plus tôt dans la matinée, la professeure avait reçu une étrange lettre. Les jeunes filles en étaient presque montées au plafond, seule Felix ne savait pas de quoi il s'agissait.

« Comme vous le savez toutes... »

Sauf moi, maugréa Felix dans sa tête.

« Des exécutions publiques vont avoir lieu. La famille royale, que dis-je, la Reine, demande en personne à ce que nous assistions personnellement à l'une d'elles. »

Des applaudissements suivirent. Felix masqua une expression d'effroi. Comment pouvait-on apprécier de voir des gens mourir devant ses yeux ? Cela n'avait pas l'air de choquer le moins du monde les filles de sa classe. Felix baissa la tête, pensant à de pauvres innocents qui allaient trépasser à cause de leurs bourreaux.

Felix et sa classe sortirent dans la grande cour degraviers et de carrés d'herbes. Felix reconnut un peu plus loin la classe deHyunjin et Jisung qui sortait par un autre portail. Felix se retint de leurfaire un signe de main. Ce geste pouvait être mal interprété, surtout qu'ilsétaient censés suivre les cours. L'institutrice intima aux filles de les suivre hors de l'établissement dans une marche ordonnée et cadencée.

*

Midi, l'heure à laquelle le soleil était le plus haut, le plus chaud et le plus aveuglant. Aucun nuage ne se profilait à l'horizon, le ciel était donc d'un bleu impeccable. Felix se maudit de ne pas avoir emporté d'éventail avec elle. La température à l'extérieur était brûlante.
Comment faisaient-ils les nobles avant ? Sans climatiseur et tout le truc ?
Felix souffla un bon coup, le cœur battant très vite et jetant de temps à autre des regards en direction des garçons. Devant la foule rassemblée sur la place, des tas de bois et de branches mortes au milieu.

Soudain, un grand carrosse tiré par quatre chevaux s'avança, martelant les pavés dans un concert abominable aux oreilles de Felix qui se sentait dégoûtée par le plaisir des gens qui regardaient ce genre de scènes au quotidien. Cette euphorie la rendait mal, au point même qu'elle avait envie de vomir alors qu'il ne s'était encore rien passé. Le véhicule s'arrêta, la foule hurlait d'indignation, poussait des injures envers ceux et celles qui avaient osé se mettre en travers de la route de la Reine. Felix profita du fait que son institutrice ait le dos tourné pour se rapprocher de Jisung et Hyunjin.

« Je veux partir...

- Tu sais bien qu'on ne peut pas, soupira Hyunjin, touché par la détresse que Felix ressentait.

- Comment vous pouvez regarder ça sans broncher ?

- Bien sûr que si ça nous fait quelque chose ! Mais c'est devenu quotidien, alors... »

Jisung laissa sa phrase en suspens. Felix détourna juste le regard. Elle ne pouvait pas leur en vouloir. En soi, Felix était un peu pareil qu'eux. Du siècle d'où elle venait, la violence aussi faisait partie du quotidien. Felix le voyait à travers un écran : les guerres incessantes, les scandales, les meurtres, les vols, la corruption, les assassinats, la famine, la soif, les inégalités, les abandons, les agressions physiques, morales, mentales, les conflits de religions, la destruction de la planète, le réchauffement climatique... Felix n'en revenait pas de pouvoir arriver à vivre un peu dans ce monde. Mais si elle ne faisait rien pour le sauver des griffes de cette Reine, le futur ne serait que désolation, répression et dépression. Il ne fallait pas que ça arrive.

« N-non... C'est impossible. »

Felix coupa court à ses pensées, alertée par la voix tremblante de Jisung. Hyunjin affichait une mine sombre pour ne rien laisser paraître du choc qui lui avait fait rater un battement de son cœur. Felix leva les yeux vers le carrosse et se figea instantanément.
Des gardes sortaient du véhicule plusieurs adolescents et adultes, pieds et poings liés par des chaînes, la mine noircie de poussière et les vêtements déchirés, exposant une peau rouée de coups témoignant des nombreux hématomes dessus. Ces gens-là, des rebelles, avaient été enfermés durant plusieurs jours dans un cachot, attendant désespérément que la mort puisse les libérer de toute la torture qu'ils avaient subi. Ils n'avaient rien révélé à propos de leurs autres compagnons qui œuvraient encore dans l'ombre, alors les futurs exécutés n'avaient eu que la punition qu'ils méritaient pour trahison grave envers la Reine. 

Les deux derniers condamnés à être sortis, ceux qui n'allaient pas être immolés par le feu car ils avaient été arrêté le matin-même à leur domicile, dénoncés par des voisins proches, n'étaient autre que les parents de Jisung. 

𝐀 𝐁𝐀𝐓 𝐋𝐀 𝐑𝐄𝐈𝐍𝐄 ! ⋯ ʰʸᵘⁿˡᶦˣˢᵘⁿᵍ 🪐Où les histoires vivent. Découvrez maintenant