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Mon nom est Riley. Et oui je suis une femme. Mon prénom d'origine anglophone en perturbe plus d'un. J'ai pris l'habitude de préciser.

Mon nom complet est Dupond, Riley Dupond.

D'un coup on dégringole de 130 points sur l'échelle de la classe. Il n'y a aucun rapport entre mon prénom qui vient d'outre-mer et mon nom de famille qui est, à lui seul, une vraie caricature de la France profonde peuplée de Dupond, Dupont et Dubois.

Il me rappelle surtout d'où je viens. Le petit village de Balazuc. Connue pour seule et unique raison d'être parmi les adhérents les plus beaux villages de France. Et pour être un village, il l'est très bien. Avec des origines de la ville qui sont médiévales et ses 400 habitants.

Oui.

400, et encore j'arrondi. Les origines de ma famille doivent remonter aussi loin que le village lui-même. Et pourtant les Dupond ne l'ont jamais quitté. Ma mère a bien tenté en partant au milieu des années 90 avec ses maigres économies accumulées grâces aux petits boulots au noir qu'elle avait fait toute sa vie au village, en aidant telle ou telle grand-mère. Elle n'avait que 20 ans et elle a réalisé son grand rêve : partir aux Etats-Unis.

Pour revenir la queue entre les jambes et un bébé dans le ventre 3 ans plus tard. Mon grand-père m'en parle souvent, il dit que ce fut le plus beau jour de sa vie. Le 12 juillet 1998.

La France a gagné la coupe du monde de foot et sa fille, qu'il ne pensait plus jamais revoir, qui débarque sur le pallier, avec ce même sac à dos, et une surprise. Je suis née quatre mois plus tard par une belle nuit d'automne. Je mens, ma mère m'a dit qu'il pleuvait des cordes et qu'après moi elle s'était jurée de ne jamais avoir d'autres enfants tellement son accouchement avait été compliqué.

Je suis donc la dernière trace de cette aventure folle qu'a vécue ma mère pendant sa jeunesse. J'ai beau savoir que c'est vrai, j'en suis littéralement la preuve vivante, j'ai toujours du mal à le croire. Ma mère est tellement intégrée à la vie du village. Elle connaît tout le monde et semble ne vouloir le quitter pour rien au monde. Me dire qu'elle a eu cette envie de s'évader et d'être différente des dizaines de générations de notre famille avant nous m'est inconcevable.

Maman ne me parle jamais de ce qu'il s'est passé durant cette période de sa vie malgré mes nombreuses questions sur mon paternel. Je ne l'ai jamais connue et je me doute qu'il n'a pas connaissance de mon existence. Ne pas avoir de père n'a pas été synonyme d'une enfance malheureuse pour moi. J'ai essuyé quelques reproches de la part des personnes âgées, aux mœurs d'un autre temps du village. Olala une enfant née hors mariage et en plus d'un père absent et étranger ! Mais j'ai reçu tout l'amour qu'il me fallait de la part de ma mère et de mes grands-parents. Ils ont tout fait pour moi, au point de mettre tout leur argent dans mes études. Comme si l'avis de quatre mamies commères qui ne sont pas sorties du village depuis qu'on est passé à l'euro m'importait.

J'étudie le commerce à Clermont Ferrand. J'ai un petit appart' comme tous les étudiants qui partent de la maison. Il me suffit. Ma meilleure amie, étant de la même année que moi, est partie en même temps que moi pour devenir infirmière. On a nos deux petits appartements côte à côte et on vit la vie étudiante classique. Amphi, TD, Petit Boulot, Sieste, Soirée, Manger, Dodo. C'est à peu près notre agenda de la semaine avec des variantes comme job de Baby-sitter et gueule de bois qui peuvent s'ajouter au tableau.

« Riley ! A table ! »

« J'arrive ! »

Je me relève de mon lit, et descend jusqu'à la cuisine où toute ma famille m'attend pour dîner.

« Encore perdue dans tes pensées ma petite chérie. » me lance ma grand-mère Luce. Ce n'est pas faux. J'ai toujours été la fille qui est la tête dans les nuages et qui va essayer d'écouter quelqu'un parler mais si sa tirade dépasse les quarante mots, je vais déconnecter et acquiescer d'un geste de tête de temps en temps pour avoir l'air d'être attentive.

« Hum hum. Bon qu'est-ce qu'on mange ? »

Demain, je repars sur Clermont, alors notre petite tribu s'est réunie autour d'un dernier repas. Je ne rentre pas les week-ends à cause de mon travail de caissière dans une supérette de mon quartier. Oui, moi aussi on m'avait vendu la fac comme celle dans les séries américaines où tout le monde est beau et fait tout sauf travailler. Triste réalité, mais vraie : les étudiants travaillent. Pas tous au même degré je l'accorde mais ils ne sont pas inactifs.

14 heures plus tard, je suis de retour dans mon petit chez moi. Nadia, la tarée que j'appelle meilleure amie, rentre demain au dernier moment comme à son habitude.

Je vais passer ma soirée sur mon ordinateur à mater ma dernière lubie Netflix du moment en ignorant les messages Snapchat de mon dernier rencard catastrophique qui s'est tenu deux jours avant les vacances. Les applis de rencontre c'est vraiment la mort du romantisme. Après, je ne vais pas faire comme si je connaissais ce fameux romantisme pré-internet avec lequel les générations antérieures nous bassinent parce que soyons honnête je suis de 98 et autant que je me souvienne Meetic existait quand j'étais en maternelle.

« Gggrrrou ... » mon ventre a faim. Mais est-ce que j'ai le courage de sortir mes pâtes du placard, mon steak Eco plus du frigo, de faire bouillir l'eau, et surveiller la cuisson de ma viande ? Non. Alors la suite logique et que je vais suivre c'est de me lever et de foncer au premier McDonald's du coin. Et dieu merci il est proche.

Alors que je ressors du fast-food avec mon sac de nourriture à emporter dans les mains et le sourire aux lèvres à l'idée de manger ses aliments délicieusement gras, je sens quelque chose me rentrer dedans à une vitesse phénoménale.

« Nan mais ça ne va pas !? » je lance hallucinée à l'homme qui m'a percuté et qui trace sa route loin de moi. Le problème n'est pas vraiment qu'il m'ait poussé (après un certain temps à prendre les transports en commun on devient totalement désensibilisé à ce genre d'incidents) mais que mon smartphone que je tenais à la main ait fait un vol plané direction le sol. Mon smartphone tout neuf ! Enfin, pas tout neuf mais je venais de changer l'écran avant, pour la modique somme de 120€ sur mon minuscule budget d'étudiante.

Je commence à voir rouge et dans un coup de sang, après avoir ramassé ce qu'il reste de mon portable je me mets à le courser. Je dois avoir l'air ridicule à courir dans les rues de Clermont Ferrand, mon portable en miette dans une main, mon sachet McDonald's dans l'autre. Après 5 minutes et au moins deux points de côté, je vois l'inconnu, qui n'a fait que prendre des petites rues pour finir au fin fond de la capitale de l'Auvergne, s'arrêter devant une porte. Cette porte en bois doit avoir plus d'un siècle, on voit la peinture noire dont elle est couverte craqueler par endroits et la serrure et la poignée ne sont pas contemporaines.

Cachée dans l'angle de la ruelle, je vois l'homme toquer à la porte avec un rythme précis : toc, un temps de pose, toc, un temps de pose, et toc toc à la fin. La porte s'entrouvre doucement pour le laisser entrer, mais je n'arrive pas à distinguer l'intérieur de la pièce.

La curiosité me tuera sûrement, je me suis déjà acclimatée à cette idée, car j'ai beau voir tous les signes qui me disent qu'il ne faut pas que j'entre dans cette pièce, je sais que je vais y aller. Mais avant, Mcdo !

Je m'empare de mon repas et le mange rapidement. Une fois rassasiée (en 5 minutes chrono, des années de pratique) je me dirige vers la porte. Toc, toc, toc toc.

La porte s'ouvre.... Sur un bar.

2071Où les histoires vivent. Découvrez maintenant