Reaper

Chapitre 1

  « -Papa, je suis rentrée ! »

  La jeune fille entra dans le salon, et vit son père avachit sur le canapé. Elle s'approcha doucement et remarqua qu'il s'était endormi, lui secoua l'épaule afin de le réveiller, mais quelque chose n'allait pas. Il ne bougeait pas, ne respirait pas. La jeune fille prit le pouls de son père. Rien. Elle se mit à hurler.

  Elle se réveilla en sueur, et se redressa dans son lit. Encore ce foutu cauchemar, celui où elle revoyait encore et encore ce moment, où en rentrant du lycée, elle avait découvert le corps sans vie de son père dans le salon. Une crise cardiaque lui avait-t-on dit. Pourtant elle n'y croyait pas. Elle n'arrivait pas à y croire. Ça n'était pas juste ça, pas juste une crise cardiaque, elle en était persuadée. Il y avait autre chose.

  Assise dans son lit, encore sous le choc de son cauchemar devenu familier, Taylor regarda l'heure sur son radio-réveil. Il était 5h57. Elle soupira, son réveil sonnait dans trois minutes, ce n'était pas la peine de se rendormir maintenant. Elle sortit difficilement de sous sa couette, et coupa son radio réveil avant que sa sonnerie stridente n'emplisse toute la pièce.

  Une nouvelle journée commençait. Une nouvelle horrible et longue journée l'attendait. Les regards de pitié et les messes-basses. "Regarde, c'est la fille qui a perdu son papa. Regarde, comme elle a l'air triste. Comme elle a l'air différente."

  C'est drôle, comme le décès de quelqu'un pouvait changer les choses. D'un jour à l'autre vous n'êtes plus la même personne, et les gens ne vous regardent plus comme avant. Ils ne vous regardent plus comme l'enfant innocente que vous aviez toujours été.

  Taylor Jones, la pauvre petite. Elle sortit enfin de ses idées noires et descendit dans la cuisine, afin de prendre quelque chose à manger avant de partir. Mais arrivée face au frigo, elle eut un haut-le-cœur. Elle n'avait pas faim. Ce qui était assez rare, car elle était le genre de personne qui mangeait dès que l'occasion se présentait. Surtout le matin, elle ne pouvait pas partir sans avoir avalé quelque chose.

  Elle laissa tomber l'idée de se remplir le ventre, et remonta dans la salle de bain afin de terminer sa préparation. En regardant l'heure, elle remarqua qu'elle avait passé plus de temps qu'elle ne le pensait dans ses sombres réflexions.

  Elle accéléra donc la cadence, et partit tout juste à l'heure pour ne pas rater son bus, qui l'emmenait de son minuscule village à la ville où se trouvait son lycée, son enfer quotidien. Une heure de bus l'attendait, elle sortit alors ses écouteurs et mis la musique à fond dans ses oreilles. Elle ne voulait plus entendre les bruits qui l'entouraient.

  Elle concentra son attention sur les arbres qui défilaient dehors, les mêmes arbres qu'elle voyait défiler depuis des années. Les mêmes arbres, la même route, le même bus. Voilà au moins une chose qui n'avait pas changé. Et qui ne changerait peut-être jamais.

  Sans qu'elle ne pût l'empêcher, de nouvelles pensées noires affluèrent dans son esprit, plus sombre les unes que les autres ;

« Que ce serait-il passé, si ton père était encore en vie aujourd'hui, hein, qu'est-ce que tu serais ? »

  Elle serait une adolescente normale, avec un groupe d'amis comme tout le monde, qui serait capable de rire à la plus simple blague, celle sur laquelle on ne se retournait pas dans les couloirs, celle sur laquelle on ne dirait rien. Celle de qui on se foutait royalement.

  Malheureusement, c'est impossible. Son père était mort, et c'est irréversible. Sa mère gardait un air fort devant sa fille, mais Taylor voyait bien qu'elle n'y arrivait pas. Elle sombrait, tout simplement. Une larme solitaire roula sur sa joue, qu'elle chassa rageusement. Elle n'avait pas le droit de pleurer. Elle se l'interdisait.