Take Me Back To Wonderland

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Alice avait enfin quitté l'endroit infernal où on l'empêchait d'être heureuse, lieu fade, morne et dénué de couleurs, ce monde sans saveur où les uns la forçaient à entrer dans une case et les autres semblaient trop accablés par leurs propres pensées pour l'écouter. Elle avait joué le jeu. Elle était restée sage et avait suivi les directives. La seule chose que désirait la jeune femme était retrouver son univers. En observant ses camarades, elle avait compris qu'acquiescer valait mieux que de se rebeller. Aussi avait-elle obéi, hoché la tête, souri et même remercié.

La couleur blanche l'écœurait, et pourtant, elle ne n'avait pas bronché pas. Elle pensait à ses couleurs vives qu'elle affectionnait tant. Elle se remémorait le parfum fleuri qu'elle aimait renifler, les animaux qu'elle adorait regarder gambader dans l'herbe, les fêtes emplies de rires et de musiques auxquelles elle souhaitait à nouveau participer. Sa vie lui avait tellement manqué, mais elle s'était répété chaque jour qu'il lui suffisait de tenir un peu plus longtemps, que le calvaire serait bientôt terminé.

Et maintenant, il était fini. À tout jamais, se promit-elle. Elle ne remettrait plus les pieds dans cet univers de blancheur et de répétitions ennuyeuses. Ses longs cheveux d'un blond terni volant au vent, Alice lissa de ses deux mains sa robe bleu clair. Porter des vêtements familiers lui avait manqué. Elle rajusta sa veste en cuir et vérifia son maquillage, entourant ses yeux d'un épais trait noir, à l'aide d'un miroir qu'elle rangea ensuite dans sa poche. Après avoir inspiré une grande bouffée d'air, elle se mit enfin en route.

Ses pieds chaussés de ballerines sautillaient légèrement sur le trottoir gris, parcouru de passants portant des vêtements gris sous un ciel couvert de nuages gris. Au moins, le monde n'est-il plus blanc, songea la jeune femme en soupirant, tentant de se rassurer. Elle était bientôt arrivée. Encore quelques rues, et elle apercevrait le bâtiment dans lequel ses fidèles amis et elle-même louaient un studio. Ils allaient être à la fois surpris et heureux - c'était du moins ce qu'elle espérait. Les mois avaient passé sans qu'elle ne puisse les voir, et leur présence lui avait tant manqué que c'en avait souvent été physiquement douloureux. La solitude avait été sa plus fidèle et rassurante compagne avant de les rencontrer. Ils s'étaient pourtant rapidement substitués à elle.

Alice poussa la porte trop petite du haut et vieux bâtiment et baissa la tête afin d'y entrer sans se cogner. Dans un grincement sinistre, la porte tourna sur ses gonds avant de se refermer, obstruant la lumière du jour. Une unique ampoule défaillante éclairait le hall d'entrée circulaire, dont le sol était couvert de pavés noirs et blancs poussiéreux. La jeune femme ne put s'empêcher de sourire : elle était presque à la maison. Elle compta la troisième porte sur la droite et se planta devant le panneau de bois. Elle hésita à frapper pour signaler sa présence, mais décida finalement de plonger la main dans sa poche pour en sortir une clef de cuivre des plus banales à laquelle pendait, à l'aide d'une ficelle blanche, une étiquette où figurait un unique mot, tracé d'une écriture penchée et ronde dont l'encre noire tranchait sur le fond clair. Maison.

Lentement, Alice incéra la clef dans la serrure avant de la faire pivoter, puis de tourner le bouton de la porte. Poussant doucement la porte devant elle, la première chose qu'elle perçut fut le tic-tac de la grande horloge qui occupait une grande partie du mur à la gauche de la porte. Son regard tomba ensuite vers le sol, sous l'horloge, sur la peluche - sa peluche - en forme de lapin dont le pelage blanc tirait vers le gris, trace indélébile des nombreux lavages qu'elle avait subis et du temps qui s'écoulait capricieusement.

-Alice ! s'écria une voix enjouée du côté opposé de la pièce.

Un miaulement rauque s'éleva, comme l'écho de cette exclamation. Chess, un gros chat au poil gris foncé et aux yeux bleus, trottina joyeusement vers la jeune femme pour se frotter contre ses jambes. Alice s'accroupit pour le prendre dans ses bras. En le tenant contre elle, elle ne put décider si l'animal avait encore grossi ou si c'était elle qui avait perdu du poids et du muscle. Elle entra dans la pièce et ferma la porte derrière elle. Elle put alors enfin apercevoir ses trois amis : Matt et Harry se trouvaient tous deux assis dans le canapé, une tasse de thé à la main et, devant eux, une théière bleue à poids jaunes était posée sur la table basse. L'éternel haut-de-forme vert bouteille de Matt était perché sur sa tête, lui donnant un air à la fois distingué et atypique. Harry, le menton relevé et les yeux attentifs, ressemblait à un animal farouche qui devait pouvoir s'enfuir à tout moment. De l'autre côté du petit studio, derrière la table de la cuisine, Carter semblait en pleine préparation pour sortir et vendre de la marchandise. Ses manches retroussées dévoilaient le tatouage d'une chenille bleue sur son avant-bras droit, qui lui avait valu d'être appelé Carter Pillar dans le métier.

Il était une fois... dans le monde réelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant