Partie première

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L'air printanier soulève mes boucles et vient me caresser la nuque. Il porte avec lui une odeur douceâtre, sucrée comme florale. Les premières fleurs ont éclos. A chaque pas, mes jambes se heurtent à la rugosité des herbes hautes ondulant au rythme du vent. J'essaie d'oublier qu'à chaque fois que mon pied s'avance, plusieurs dizaines de micro-entailles se dessinent sur mes tibias nus. A la place, je me concentre sur cette sensation de légèreté que je ressens lorsque je me retrouve seule dans la nature. Mes paupières se ferment quelques instants et je m'imagine là, enfin à ma place parmi l'immensité de la nature avec laquelle je devrais partager ma vie plutôt que de rester enfermée derrière des écrans et un bureau. J'inspire à plein poumon pour calmer le rythme désordonné de mon cœur. Arrête de stresser, je me répète encore une fois même si je sais que cela ne changera rien. Je me connais, et, malgré tous les efforts que je fais pour me détendre, je sais que je ne peux pas m'empêcher d'être anxieuse. Mais ce sentiment ne va pas tarder à disparaître. Il s'évanouira quand je le verrai. Ou plutôt après l'avoir vu.

J'ouvre les yeux et balaye du regard l'étendue de verdure. J'observe déjà le début du sentier que je vais devoir emprunter entre les chênes verts qui recouvrent la colline. Ce chemin que j'ai pris d'innombrable fois avec lui. Ma tête bascule en arrière et se laisse envoûter par un paisible troupeau de nuages. Pourtant éloignés les uns des autres, ils avancent ensemble, à la même vitesse, dans la même direction, imperturbables. Qu'est-ce que le monde soit sembler paisible vu de là-haut. J'aimerai m'allonger ici, et ne plus faire comme seule activité celle de contempler le bleu ciel. Je n'ai que rarement compris l'attrait des habitants de ma région pour ce bleu si pur du ciel qu'apparemment seuls nous avons. Je préfère de loin observer un ciel orageux, ou bien parsemé de nuages comme aujourd'hui. Il y a tellement plus de reliefs et de caractère que dans une couleur unie. Pourtant, nous n'avons que rarement un ciel comme celui-ci. La majeure partie du temps, un bleu éclatant et lumineux règne en maître dans le ciel grâce au mistral qui chasse constamment la moindre perturbation. Une rafale avale soudainement mes cheveux. Sortie de mes pensées, je suis déjà en train de m'aventurer dans un sentier en terre battue. Le pré aux parfums floraux a laissé place à la senteur boisé et acre des sous-bois. J'y suis presque.

Un bref coup d'œil sur ma montre d'horlogerie. Il me reste une petite dizaine de minutes avant l'heure de notre rendez-vous. Mon cœur tambourine dans ma cage thoracique. Ma gorge se noue. J'appréhende tellement. Je ne sais pas comment cela va se passer. J'ai peur. Peur qu'il me rejette. J'inspire lentement. Et souffle lentement. Mais rien n'y fait, je sais que maintenant mon cœur va battre la chamade jusqu'à exploser, et alors je pourrai me reposer. Et s'il ne venait pas ? Non, n'importe quoi, je sais qu'il sera là. Je sais même qu'il sera en avance, parce que lui aussi se sent mal et est englouti sous ses angoisses. Malgré tout ce qu'il a pu se passer entre nous durant ces années, je sais qu'il tient beaucoup à moi. Mais je ne pense pas que cela soit suffisant et ça me brise déjà le cœur. Tout d'un coup, je sens la chair de poule naître sur mes bras recouverts d'une fine chemise. Le feuillage touffu du maquis ne laisse plus le soleil s'infiltrer jusqu'au sol. Le vent non plus n'y a plus accès. C'est pour cela que nous venions souvent ici : peu importe la saison, on s'y sent comme protéger à l'intérieur de notre bulle à l'écart du monde extérieur.

Légèrement essoufflée j'arrive en haut de la dernière montée. Mon cœur et mes pensées s'arrêtent. Je le vois et je ne sais plus penser. Il est dos à moi, tourné vers le bord de la bute où les chênes ouvrent leurs branchages pour nous laisser observer la vallée en contre-bas. Ses cheveux dorés sont en pagaille à cause du vent et ça ne fait que le rentre plus beau. Ils ondulent sagement autour de sa tête dans une danse sensuelle qui me donne follement envie de venir y glisser mes doigts pour sentir la douceur de ses mèches. Mon cœur rate un battement, sauf que mon cœur est en face de moi.

J'ai envie de partir en hurler.

Je m'avance silencieusement.

Une journée de printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant