Partie deuxième

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Me sentant ou m'entendant arriver (comment savoir ? et puis est-ce possible de réellement ressentir les personnes auxquelles nous tenons ?), toujours aussi tendu, il se tourne vers moi. Un visage aux milles expressions me regarde tout en évitant de se plonger dans mes yeux. Il est perdu, je le ressens. J'aimerai le prendre dans mes bras et lui dire que tout va bien se passer. Seulement moi-même je n'en suis plus si sûre. Ses mains s'activent à l'intérieur des poches de son sweatshirt gris tandis que ses paupières papillonnent de manière bien trop irrégulière pour être normale. Ce ne sont que des détails mais je ne l'ai jamais vu autant perdre le contrôle. Il est d'habitude si stable et dur en apparence, que là j'en perds les mots. Dans une tentative maladroite, je lui tends ma bouteille d'eau. Mécaniquement, il l'accepte et l'engloutit en quelques gorgées. Je savoure cet instant de répit dans une longue inspiration.

- Tu es arrivé depuis longtemps ?

Et je maudis intérieurement ma voix enrouée qui peine à s'éclaircir. Il secoue la tête.

- Non, juste un quart d'heure. Vu que j'étais pas très loin j'ai préféré venir directement plutôt que de faire d'abord un croché chez moi.

J'acquiesce. Et je me demande ce qu'il faisait « pas très loin ». Soudainement, il esquisse un sourire sur le coup de ses lèvres rosées. Je ne peux m'empêcher de sourire face à l'éclat qui vient de passer dans ses yeux d'une couleur si particulière - indescriptible.

- Qu'est-ce qu'il y a ? je souris.

Un petit gloussement s'échappe de sa bouche. Mais il sonne bien plus comme une triste musique que ce que j'aurai pu espérer. Une angoisse familière se met à pulser dans chacune de mes terminaisons nerveuses.

- C'est cette situation. Je la trouve tellement... horrible, ridicule et nécessaire à la fois. Je déteste ça.

- Moi aussi, c'est insupportable. J'aimerai ne jamais avoir à être comme ça avec toi.

Son regard quitte le vide et s'enfuit au loin.

- Moi aussi.

Ma gorge se noue. Il faut faire quelque chose, je ne vais pas supporter encore longtemps le fait de me tenir face à lui de cette manière-là. Je regarde autour et aperçois un peu d'espoir.

- On va s'asseoir sur le muret ?

- Ouais, bonne idée.

Même s'il n'avait pas besoin de répondre à cela puisque je m'écarte déjà, chaque prétexte est bon à prendre pour parler comme si nous n'étions pas affreusement mal. Dirigés par le stress, mes pieds marchent rapidement vers ce puit de lumière parmi les arbres. Face au vide, un petit mur en pierres sèches se dresse afin de retenir la terre. Même si à cette période de l'année il est encore recouvert de feuilles, nous sommes venus assez souvent nous y asseoir pour connaître ses moindres défauts. Alors, en évitant ses pierres bancales, je m'installe délicatement. Je réfléchis à chacun de mes mouvements pour ne plus penser à ce qui va suivre. De la sensation sous mes semelles de chaussures jusqu'au déroulement de mon poignet.

Une fois en place, je me plonge dans l'infinité du paysage qui s'offre à moi. J'aimerai contempler du plus petit buisson sous mes pieds à la plus lointaine branche de la rivière qui scintille au loin. Mais j'en suis incapable. Mes pensées fulminent en tous sens.

- Tu te souviens de quand on s'était promis de ne jamais être gêné l'un avec l'autre ?

J'acquiesce. Je m'en souviens très bien, c'est même moi qui avais initié la chose à l'époque. Et d'ailleurs, c'était uniquement pour qu'il soit assez en confiance pour me dire enfin ce qu'il ressentait pour moi.

- C'était il y a 3 ans, je murmure.

- Déjà... C'est passé si vite.

Un instant de silence.

- Alors pourquoi est-ce qu'on agit comme ça aujourd'hui ?

Je ne me tourne pas vers lui, je sais qu'il ne connaît pas la réponse à cette question. Pourtant moi oui.

- Tu disais bien ça par rapport à maintenant ?

Il hoche la tête.

- Et bien il me semble que la vérité est qu'on n'est pas gênés. On ne sait juste pas par où commencer. Il y a tellement à dire...

Il acquiesce encore une fois. Sachant qu'il ne s'exprimera jamais de lui-même, je me décide alors enfin à le questionner et le pousser pour qu'il dise enfin ce qu'il a sur le cœur. Il n'attend que ça. Cela a toujours été comme cela entre nous. Lui, qui a tant à dire et à partager mais qui est incapable de le faire seul. Alors forcément, il me répond qu'il ne sait pas comment dire tout ce qu'il pense, ni ce qui est important à dire.

- Tout ce qui semble important pour toi, même des petits détails. Dis-les juste de la manière dont tu les penses. Tu sais très bien que je sais interpréter.

- C'est compliqué.

- Je sais.

Alors, tandis que son cerveau se torture pour formuler des pensées incohérentes, j'attends patiemment. J'apprécie juste de me tenir là, à côté de lui, sans avoir à soutenir son regard bien trop lourd d'émotions.

- Ces dernières semaines ont été très compliquées. Et étranges. C'était ce que je voulais et à la fois rien de ce que j'aurai aimé. C'est bizarre à dire.

Il inspire longuement en passant nerveusement une main dans ses cheveux.

- J'ai passé plus de temps seul, ça m'a fait du bien. J'ai aussi fait plein de choses avec mes amis et le BDE, et franchement c'était super, on a bien rigolé, j'aurai pas pu rêver mieux. Mais à la fois, j'ai eu l'impression qu'il me manquait quelque chose.

J'enregistre les moindres émotions qui transpirent de ses phrases décousues. Il continue à développer ces mêmes pensées que j'ai déjà bien cerné, alors je l'aide en orientant son discours vers une porte de sortie.

- Tu sais ce qu'il te manquait ?

Une journée de printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant