Partie troisième

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Même si une voix dans ma tête le supplie de répondre que c'est moi qui lui manquais, je ne veux pas l'entendre. Je sais que ce ne serait pas entièrement vrai, et qu'il ajouterait un « mais à la fois je ne veux pas revenir avec toi » et ça me ferait encore plus de mal. Alors, je préférerai qu'il ne sache pas répondre à cette question. Même si je brûle d'en connaître la réponse.

- Je ne sais pas vraiment... C'est comme si j'avais ce qui aurait dû me rendre heureux, mais que ça ne fonctionnait pas.

- Comme si c'était le bonheur qu'il te manquait ?

Il semble réfléchir, et même s'il ne semble pas convaincu, il acquiesce. Nous en avons déjà parlé, alors je ne veux pas me répéter, mais quelques rappels ne lui feront pas de mal, non ? Et puis, si il est là c'est aussi qu'il attend de l'aide et des réponses de ma parts aux questions qu'il n'arrive pas à formuler.

- Tu sais ce que je vais dire.

- Oui.

- Et est-ce que tu y as pensé ? Parce que, plus sérieusement, si tu ne te décides jamais à faire un travail sur toi-même, tu ne pourras jamais soigner tes blessures. Et alors forcément, tu ne pourras pas être réellement heureux. Tu gardes tellement de choses en toi en faisant semblant de ne pas les voir... Tu te voiles volontairement la face depuis que tu es petit. Alors même si tu n'es pas honnête avec toi-même, et que donc tu ne t'autorises pas à être la personne que tu es réellement, comment veux-tu réussir à être heureux ?

Je me force à arrêter de débiter toutes ces paroles et je reprends ma respiration. C'est plus fort que moi, ce sujet me met dans une colère folle à chaque fois. Je n'arrive pas à comprendre qu'il se gâche comme ça. Comment peut-on ne pas vouloir s'en sortir ? C'est tellement flagrant qu'il va mal mais qu'il n'a pas le courage d'affronter ce qui lui fait du mal depuis toujours. Ça me met hors de moi. Il mérite tellement mieux. Il mérite de s'en sortir. Et le voir ne pas bouger le petit doigt pour panser ses blessures me donnerait envie de lui mettre des gaffes. Il agit comme s'il avait perdu espoir. C'est un garçon avec un cœur immense et plein d'amour mais asséché par une coquille tellement abîmée qu'il pense qu'elle en est devenue irréparable. Et ça me fend le cœur bien plus que tout le reste.

- Tu sais, j'y ai beaucoup pensé ces derniers temps. A tout ce que tu m'as dit la dernière fois. Même par rapport à mon père et ma mère, Mimi je veux dire.

Je retiens ma respiration.

- Et je pense que tu as raison. Quand je disais la dernière fois que ce serait bien que je fasse un pèlerinage sur la tombe de ma mère, j'y pensais vraiment. Et je vais sûrement le faire aux vacances de Pâques plutôt que de partir en bord de mer avec Mimi.

Je reste sans voix. Je suis tellement fière de lui.

- Là-bas, j'aurai tout le temps pour réfléchir à ça.

Enfin, il a décidé de s'en sortir. Je ne pensais pas qu'il trouve vraiment la force un jour de le faire. Après, nous n'y sommes pas encore, mais c'est déjà un très bon début.

- Et tu le sais sûrement, mais c'est grâce à toi.

Il se tourne enfin vers moi. Ses yeux vitreux bloquant un flot immense d'émotions se plongent dans les miens.

- Je suis vraiment heureuse que tu fasses enfin ça. Ça va vraiment te faire du bien je pense.

- J'espère.

- Essaie de ne pas passer toute ta semaine avec tes amis d'enfance là-bas.

Il laisse échapper un petit rire qui fait sursauter ses boucles devant ses yeux.

- Oui, il faudrait sûrement que je leur cache le fait que je retourne dans le Nord pour qu'ils me laissent tranquille. Mais je pense que je les verrai quand même un jour ou deux.

Là, je le reconnais bien. Plein de bonnes intentions mais incapable de se retenir de voir du monde et de faire la fêter. Ces « un jour ou deux » ne seront rien d'autres que des journées et soirées entières à fumer, boire un peu, et faire des jeux risqués en tout genre. Mais au moins l'idée principale est là. C'est déjà ça.

- J'espère que ça te me permettra de trouver ce quelque chose qu'il te manque, est la seule pensée construite que je réussis à formuler.

- Ça m'aidera peut-être à comprendre ce qu'il ne va pas chez moi, mais je ne pense pas que ça m'aide à trouver ça. Ou alors pas totalement.

- Pourquoi ça ?

Il me lance alors un regard, comme s'il pensait que je rigolais.

- Parce qu'il me manquera toujours toi.

Je glousse. C'est tellement cliché. Et même s'il l'a dit à moitié en rigolant, je sais qu'il le pense.

- Ça pourrait faire une bonne disquette, je souris perturbée et ne sachant comment réagir.

Il ne prête pas attention à ce que je vais de dire et continue.

- Inès, tu es la personne qui me connais le mieux et celle en laquelle j'ai le plus confiance. Je ne me suis jamais autant confié à quelqu'un, pas même à Emma ou Thomas.

Il reste soudain sans voix puis se met à bafouiller des débuts de phrase sans savoir comment les terminer. Ses yeux s'agitent face à la vallée que nous avons oubliée. Une brise me fait frémir, ou bien est-ce sa faute à lui ? Avant qu'il ne s'arrache les cheveux à force de les triturer, je lui dis simplement que je sais tout ça et que je comprends. Mais il s'obstine à vouloir dire ce que sa bouche ne veut formuler. Brusquement, il souffle et se détend. J'aurai pu croire à un signe d'abandon de sa part s'il n'avait pas dit cela. Mon cœur rate un battement.

Une journée de printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant