Quatrième partie

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Les jours défilent, devenant peut-être même des semaines. J'ai perdu la notion du temps. Chaque jour, Steve m'en apprend davantage sur mon « don » que je considère pourtant toujours comme une sorte de malédiction, sur les autres facultés existantes et sur cette espèce d'association qui veut nous « guérir » ou nous éliminer. Il m'a par exemple appris à soigner une blessure volontairement, et j'ai donc cicatrisé la sienne, au front. À distance, c'est relativement compliqué, car il faut déployer plus d'énergie, même pour deux ou trois mètres, mais j'ai réussi. Pourtant, en faisant cela, je n'avais pas imaginé que cela attirerait autre chose.

Soudain, un froid caractéristique m'envahit, courant le long de ma colonne vertébrale. Tous mes muscles se raidissent, je me crispe, ma respiration s'interrompt et mon rythme cardiaque s'accélère. La sensation de sa présence me tord le ventre, il n'est plus très loin.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? Me demande Steve.
Mais je ne peux pas répondre. Il est là, il se dresse devant moi avec son sourire qui me fait toujours aussi froid dans le dos.
- Lisa ? Lisa, répond-moi !
La voix de mon ami me parvient, mais elle me semble si lointaine ! Son regard mauvais paraît si près de me happer que j'ai l'impression de perdre pied, de tomber.
- Lisa, qui est là ? Demande Steve.
Il a compris, mais c'est trop tard. Je me sens comme une souris sous le regard d'un serpent. Je ne peux plus bouger, la peur me tord l'estomac, son regard me cloue sur place. Je suis même incapable de penser clairement.
- Eh bien Lisa, je te retrouve enfin ! J'ai presque cru que tu allais pouvoir m'échapper.
Il s'approche, glissant plus qu'il ne marche, menaçant. Peut-il m'atteindre, me faire physiquement mal ? Je n'ai pas très envie d'essayer, même si, pour ce que j'en sais, les fantômes ne peuvent rien faire de réellement offensif. Il n'est plus qu'à deux pas. Je me colle contre le mur, terrifiée. Mais soudain, l'esprit disparaît derrière un rideau de flammes ardentes, tels des serpents enragés faisant rempart. Et lorsque le feu retombe en une pluie d'étincelles, comme la première fois, il a disparu. Si j'avais pu, j'aurais couru me réfugier dans les bras de Steve pour y pleurer toutes les larmes de mon corps, mais je me contente de laisser ces perles transparentes rouler sur mes joues, en silence.
- Que s'est-il passé ?
Mes yeux verts se posent sur lui, emplis de larmes. Je reprends le dessus sur ma voix qui aurait trop facilement flanché, et explique :
- C-c'était un fantôme... Je l'avais déjà vu plusieurs fois, il semble... il semble me vouloir du mal... Enfin, je suis sûre qu'il m'en veut, mais je ne sais pas pourquoi...
Tout ce que je sais, c'est que les flammes ne l'ont pas anéanti, il reviendra, et très certainement en colère. Steve reste pensif quelques secondes, puis tente de me rassurer :
- Ne t'inquiète pas, d'après ce que j'en sais, les fantômes ne peuvent pas te faire de mal.
- Et si celui-ci trouve un moyen ?
- On l'en empêchera.
À ce moment-là, j'ai plus envie que jamais d'aller me réfugier dans ses bras, de me faire réconforter. Mais les chaînes m'en empêchent.
- Pour le moment, l'important, c'est de sortir d'ici.
Je l'observe, fronçant les sourcils.
- Mais... Comment ?
Il reste pensif un instant à m'observer de la tête aux pieds. Il réfléchit à toute vitesse, apparemment, tantôt évaluant la serrure du bracelet qui retient son poignet, tantôt la porte.
- Tu n'aurais pas une boucle d'oreille, une broche ou quelque chose comme cela, par hasard ?
Je hausse un sourcil, surprise. J'ai bien des boucles d'oreilles, toute simples, pendantes, mais j'imagine que n'importe quoi peut faire l'affaire... Sauf que je doute qu'il réussisse à crocheter la serrure. Pourtant j'acquiesce, les retire et les lui lance. Il les attrape d'une seule main, en plein vol, comme s'il a fait ça toute sa vie. Il me remercie du regard, puis s'affaire avec la boucle et le bracelet de son bras gauche. Les minutes s'écoulent lentement, me semblant s'étirer à l'infini. Pourtant, au bout d'un moment, l'espèce de menotte tombe au sol, laissant une simple marque violacée sur le poignet du jeune homme. J'écarquille les yeux, franchement étonnée, mais il s'attaque déjà à la seconde entrave, et ne s'en préoccupe pas. Cette fois-ci, il lui faut un peu moins de temps pour le détacher et bientôt, il se lève et s'approche, m'offrant un sourire.
- Et heu... Pourquoi n'as-tu pas fait cela plus tôt ?
Il rit, franchement amusé, s'accroupissant près de moi, fouillant dans la serrure avec ma boucle d'oreille à présent tordue.
- Parce que plus tôt, tu étais en sécurité, ici. Sauf que ce n'est plus le cas, et s'ils apprennent que tu vois les fantômes et tout le reste, ils te jugeront trop dangereuse et t'élimineront.
Je ne dis rien, me mordant l'intérieur de la joue. Ma vie est en danger à présent... Je détourne le regard, premièrement à cause de cette révélation, mais aussi parce que cette proximité me déstabilise. Il ne lui faut guère de temps pour me libérer, et je me masse les poignets, me relevant, tandis qu'il s'approche de la porte. Tout en s'affairant à l'ouvrir, il me dit :
- Quand on sera sortis de cette cave, reste derrière moi, d'accord ? Et reste toujours près de moi, ne t'éloigne pas.
- D'accord.
Oui, j'ai confiance en lui, plus qu'en moi-même. Je ne sais pas me défendre, et ce n'est pas mon don qui m'aidera, tandis que lui, il contrôle le feu et il n'a pas l'air innocent à tout ce qui se passe ici. Si bien qu'une fois la porte ouverte, je suis ses conseils. Le couloir dans lequel nous pénétrons est totalement vide et silencieux, et nous avançons le plus discrètement possible. Mon cœur bat la chamade, j'imagine à chaque instant une dizaine d'hommes arriver de tous côtés, nous bloquant toutes les issues. Mais il n'en est rien. Notre progression se fait sans bruit, et nous restons muets. Mais soudain, des pas nous parviennent, se rapprochant. Steve se jette sur une porte, à gauche, et tente de l'ouvrir mais elle est fermée à clé. Les bruits se rapprochent. Il me prend la main et se met à courir, m'entraînant à sa suite, suivant le couloir, ne se préoccupant pas des portes, ce serait une perte de temps. Les hommes tournent l'angle et nous aperçoivent. L'un d'eux crie aux évadés et il n'en faut pas plus pour qu'ils s'élancent à notre poursuite. Ils sont quatre, tous armés d'un revolver et de matraques. Je prends peur, mais Steve sait ce qu'il fait... du moins, je l'espère.
- Arrêtez-vous, nous crie l'un des hommes, mais nous n'en faisons pas de cas.
Nous tournons l'angle, et... nous voilà face à un mur avec une seule porte. Nous nous précipitons dessus, mais elle se révèle fermée. Nous nous retournons donc, faisant face. Nos poursuivants nous rejoignent, s'arrêtent à deux mètres et nous pointent de leurs armes à feu. Le jeune homme semble se mettre volontairement devant moi, et bien que j'aie peur pour lui, je ne peux m'empêcher de ne l'en apprécier que plus. Soudain, une barrière de feu se dresse entre eux et nous, mais une balle la traverse aussitôt, allant se loger dans l'épaule gauche de mon ami. Il grogne, manquant de tomber, se tenant le bras. Je crie son nom, surprise, terrifiée à l'idée qu'il puisse perdre la vie. Mais il n'en est rien. Il s'approche de la porte, ressort ma boucle d'oreille et entreprend de crocheter la serrure. La porte s'ouvre, donnant sur des escaliers qui descendent. Il les dévale, et je le suis, me mordant la lèvre, observant le sang qui teinte peu à peu son pull.
- Steve, ça a l'air grave, on devrait s'arrêter.
- Pas question.
Sa voix glaciale me fait l'effet d'une gifle, et je n'insiste pas, le suivant. Nous traversons de nombreux couloirs, des pièces que j'ai arrêté de compter, évitant les hommes, les gardes ou je ne sais pas trop comment les qualifier, avant d'enfin tomber sur une porte qui semble donner sur l'extérieur. Mais elle est gardée. Nous restons donc à l'angle, accroupis au sol. Je ne peux m'empêcher de fixer son bras tandis qu'il analyse la situation. Bientôt, il me fait signe de courir, s'élançant lui aussi. Les gardes sont préoccupés par un tapis qui brûle, un peu plus loin, et nous passons derrière eux sans risques. La porte se trouve ouverte et nous sommes à l'extérieur, enfin. Néanmoins, je suis incapable de définir si nous sommes le matin ou le soir, tant je suis déboussolée. Le ciel est grisâtre, comme quand l'aube approche ou que la nuit tombe. J'espère que c'est le jour et pas l'obscurité qui va nous envahir, bientôt... Je n'en peux plus des ténèbres. Nous reprenons notre course, mais je vois bien qu'il ne se sent pas bien. Son visage est pâle, et la tâche sombre est d'une grandeur inquiétante. Nous continuons néanmoins, nous enfonçant dans un petit bois à l'aspect accueillant. Mais bientôt, Steve trébuche et il doit se retenir à un arbre tant il est fatigué. Sa respiration est courte et ses sourcils froncés, trahissant son état.
- Montre-moi.
Il me regarde d'un drôle d'air, comme si... il s'avouait vaincu. Je m'attends à ce qu'il relève sa manche, mais il enlève carrément son pull, et se retrouve... torse nu devant moi. J'écarquille les yeux surprise, mais ne fais aucun commentaire. Là où la blessure est placée, remonter sa manche n'aurait pas suffi à la découvrir. Je m'approche, et l'étudie attentivement, légèrement mal à l'aise tout de même. La balle n'est plus à l'intérieur de la peau, elle a dû ressortir par un quelconque moyen. Il m'observe, je le sais, je le sens. Pourtant, je fais mine de rien, me concentrant sur ma tâche. Tout doucement, je pose ma main sur la plaie, délicatement, et je ferme les yeux. Je laisse mon pouvoir affluer, comme il me l'a appris, et je le lui transmets. Je visualise la plaie se refermer, cicatriser, et, quelques secondes plus tard, retirant ma main, il n'y a plus rien. Je recule, mais il ne cesse de me regarder.
- Il faut qu'on avance, je tente sans conviction pour qu'il cesse cet étrange manège.
Il me lâche alors des yeux, et les baisse sur son pull.
- Il vaudrait mieux trouver un point d'eau, d'abord, si je laisse ce truc dégouliner de sang, ils arriveront à nous suivre.
J'acquiesce alors, et le suis à travers bois. Il ne remet pas son pull, et j'ai peur qu'il attrape froid, car la saison n'est pas très favorable, l'air me semble glacial. Pourtant, pas une seule fois il n'éternue, et il ne donne pas l'impression de ressentir la morsure de la bise. Le ciel s'éclaircit de plus en plus, nous sommes donc à l'aube. Nous arrivons finalement à un point d'eau, sans aucun détour, comme s'il savait qu'il se trouvait là. Il s'agenouille, et entreprend de nettoyer la tâche. J'en profite pour me passer de l'eau sur le visage et boire, tentant de me laver un peu, car je dois être... imprésentable. Au bout d'un petit quart d'heure, nous reprenons notre route, mais son pull étant trempé, il ne le remet pas immédiatement. Je ne peux empêcher mon regard de parcourir son torse et ses abdominaux, juste un instant, avant de le détourner.
- Tu sais, tu n'es pas obligée d'être comme ça, me dit-il.
J'écarquille les yeux, gardant volontairement le regard loin de lui, rougissant.
- Hein ? Comment ?
- Eh bien, mal à l'aise. Tu sais, si cela me dérangeait, j'aurais déjà remis mon pull.
- Oh heu... Oui, je le pense bien, mais... Enfin, voilà quoi.
À vrai dire, je ne sais pas quoi émettre, comme objections. Alors je me tais, et il ne dit rien de plus. Nous continuons notre route, silencieux. Au bout de deux bonnes heures, faisant une petite pause assis sur un rocher, il se revêtit, son haut étant totalement sec. Je soupire... Mais est-ce de soulagement, ou... de déception ? Car je dois bien avouer qu'il est plutôt pas mal... Bon, d'accord, il est beau, franchement beau. À ces pensées, je rougis, et encore davantage quand je le vois m'observer à cet instant précis. Il sourit, amusé. Alors, sans vraiment réfléchir, je demande :
- Pourquoi tu te donnes toute cette peine ?
- Laquelle ?
- M'aider, me sortir de là, me sauver la vie...
Il détourne le regard, cachant son visage, restant muet. Et je regrette d'avoir posé la question. Il semble cacher plus d'un secret, apparemment. D'une petite voix, je reprends :
- Je suis désolée...
Là aussi, il reste silencieux, le visage dissimulé. Je baisse les yeux au sol, mal à l'aise. Il se lève, ses cheveux cachant ses yeux noisette aux magnifiques reflets fauves, et commence à s'éloigner, se dirigeant vers le petit ruisseau, non loin.
- Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, et toutes ne te plairont pas.
Je fronce les sourcils, mais lui demander de s'expliquer serait inutile, il ne le ferait pas. Je commence à le connaître, après tout. Il fuit les questions qui lui déplaisent. Alors je n'insiste pas, m'interrogeant en silence sur les raisons de ces efforts.

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