18h24

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La mer était énervée ce soir-là.

Pourtant, j'avais dit à Marie et aux autres cousins d'arrêter de lui lancer des cailloux, parce que ça lui transperçait la peau, ça lui coupait le cœur, et que c'était pas correct, non, vraiment pas correct de lui faire du mal comme ça. Maman m'avait attrapée et j'avais pleuré à grosses gouttes froides et salées sur le sable chaud, punie dans mon coin et privée de baignade. Isolée de tous au milieu des grands boudeurs et des petits qui me faisaient mal aux oreilles, j'avais cru me noyer.

Marie m'avait raconté la veille que lorsqu'elle s'était trop éloignée du bord, un soir où elle avait embêté la mer en plus de ça, ses bras s'étaient ramollis dans l'eau, sa voix s'était vidée dedans si bien qu'elle n'arrivait même plus à appeler la plage, et elle s'était retrouvée sous les vagues pendant de longues minutes avant qu'on ne la sauve des griffes de l'eau. "Alors, m'avait-elle dit, la mer m'a avalée de grosses lèvres charnues et cruelles puis a mâché mes poumons et ma tête." Heureusement, je n'étais pas à la plage lors de cette quasi-tragédie; je pense que je n'aurais pas supporté les cris de Maman.

J'étais sûre qu'elle avait crié sans le savoir, elle le faisait beaucoup à l'époque.

Et ce soir-là, j'avais les poumons tout aussi noyés que Marie, à hoqueter misérablement avec les enfants qui jouaient autour de moi, et tout l'air du monde qui semblait s'échapper dès que mon nez mouillé s'en approchait.

Oui, je me demandais si mon amie n'avait pas exagéré ses histoires de mer, puisque j'arrivais très bien à me noyer tout pareil sans.

La brise soufflait contre le sable encore chaud, et la plage était peuplée des décombres de la journée : des parasols abandonnés, des restes de nourriture que mangent les pauvres gens et les oiseaux, des châteaux de sable aux monarques oubliés qui s'écrasaient contre les vagues, et nous: Maman, Marie et les autres, qui ne venions souvent qu'en fin de journée, pour éviter la foule. La barrière de bois vert gémissait sur ses gonds au rythme du vent.
Je soupirais. Même les mouettes qui d'habitude voulaient de moi me riaient au nez, laides comme des sorcières, et volaient vers le soleil fatigué qui commençait à fermer ses yeux sur le ciel. Mes poumons noyés me faisaient terriblement mal, ma tête terriblement peur : et si la mer, lasse de tous les cailloux que lui lançaient les petits, débordait un jour, en nous avalant tous, les petits et les grands et la côte, en s'élançant contre le sable et les rues comme dans les films d'anticipation et, dans sa gloutonnerie de rage, nous noyait comme Marie, comme moi, mais sans que l'on puisse se réveiller cette fois?

Sur le moment, et à la lumière mourante du mois de juillet, j'étais convaincue que je vivais mes dernières heures, que mes poumons meurtris prenaient leurs derniers souffles, que ma mère me jetait sans le savoir ses derniers regards.

Je me mis à geindre d'autant plus fort, peut-être pour faire peur à la mer (j'avais vu dans les livres de l'école que les animaux se criaient dessus comme ça), et maman me prit dans un de ses bras, en lisant de l'autre. Sa joue était mouillée, et elle avait des taches d'encre laide et noire sous ses cils.

Elle pleurait, et je ne savais pas si c'était à cause de moi ou de la mer.

Je ne l'ai su qu'il y a peu de temps.

Maman est morte une nuit de JuilletOù les histoires vivent. Découvrez maintenant