Prologue

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Une seconde ; puis une autre. Elles s'écoulaient si vite qu'il en devenait futile de les compter, elle le savait, mais reprenait son énumération l'instant d'après. À extrémité de ses doigts recroquevillés, ses ongles s'enfoncaient dans la paume des ses mains, et laissaient une légère marque blanchâtre, qui disparaîtrait sans doute aussitôt. Le soleil éclairait la pièce vide d'une lumière faiblarde, et les rideaux filtraient les derniers rayons que l'astre daignait offrir à l'hémisphère ouest. Nola regardait attentivement ce décor sinistre, s'attachant à chaque détail. Son regard parcourait avec apathie la moquette que le néon éclairait fébrilement, quand elle considéra les options qui s'offraient à elles. Après quelques minutes de réflexion, elle lâcha un soupir, attristée, en réalisant qu'elles étaient malheureusement peu nombreuses.

La fuite était l'une d'elles, mais lui semblait irréalisable et lâche, il aurait aussi pu être retardé, bien que cette éventualité la fasse douter. Elle contempla avec lassitude l'agencement déconcertant des quelques aquarelles de mauvais goût, de biais sur la paroi jaunie par le temps, et s'interrogea sur l'esprit attardé qui avait bien pu peindre ces difformités.

Subitement, le battant de la porte s'ouvrit, laissant passer un courant d'air glacial, et une silhouette impressionnante se dessina sur le seuil. C'était évidemment lui. Elle subodorait son humeur assez maussade, et présageait qu'elle en aurait promptement la confirmation. Il la dévisagea hargneusement et tira une chaise vers lui avant d'abandonner ses chairs abondantes sur cette dernière, elle crut même l'entendre crisser faiblement. S'ensuivit un mutisme gênant, elle savait que le temps ou elle pouvait railler ses choix et ses erreurs était révolu, et qu'elle devrait pleinement les assumer à partir de maintenant. Elle eu à peine le temps d'achever sa pensée, qu'il s'était mis à lui parler d'une voix que l'on aurait pu croire réconfortante. Il employait des termes simples, ses tournures auraient été assimilées par n'importe qui. Néanmoins, Nola peinait à saisir le sens de ses mots, ils venaient se heurter contre la coque épaisse qui entourait sa mansarde déstructurée, puis, vexés, s'en allaient trouver un auditoire plus conciliant. Au fond, elle redoutait simplement ce qu'il avait à lui dire, et faisait mine de prendre un air détachée, tentant de noyer ses paroles dans dans le flot de ses pensées.
- « Bref, pour toutes les raisons que je viens de citer, vous êtes licenciée », dit-il soudain.

Il lui fallut quelques instants avant de réaliser ce qu'il venait de dire, bien qu'elle s'y attendait depuis bien trop longtemps déjà, elle ressentait un vide, comme si un pan entier de sa vie venait de s'écrouler. Il la regarda fixement, d'un regard tout à fait dépourvu de sentiment, lui intima de quitter la les lieux immédiatement, puis alla se rouler une cigarette à l'autre extrémité de la pièce. Tout d'abord tentée de s'éclipser discrètement, elle décida de conclure, en le voyant ainsi fumer prétentieusement accoudé à la fenêtre, ces mois ennuyants et déjà si lointains, par quelque amusante irascibilité. Elle s'approcha calmement de lui, dit quelques mots, et quand elle le vu se retourner enroula ses mains meurtries autour de sa gorge et l'étreignit puissamment. Abasourdi, et pris au dépourvu par cette brusque réaction, il ouvrit de grands yeux et émettit un bruit de borborygme qui serait, songea-t-elle, le dernier qu'il n'aurait jamais l'occasion de faire partager à qui que ce soit. Dans un dernier gémissement, ses paupières s'abaissèrent, et il s'abattit de tout son long sur le carrelage froid. Elle jeta un regard furtif sur le cadavre, puis quitta la pièce le plus naturellement du monde.

Les garçons ne pleurent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant