L'air frais de la rage

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Ma colère avait explosé. Mes pieds tapaient furieusement les marches tandis que je montais l'escalier. Ma porte claqua dans un bruit sourd lorsque je la refermai violemment. Je tournai en rond dans ma chambre, ruminant mes pensées obscures et cherchant un quelconque moyen de me calmer. Je m'assis sur ma chaise de bureau, tournoyant telle une enfant, avant de m'arrêter, étourdie, face à la fenêtre. Le paysage était lumineux, un manteau blanc recouvrait le sol et le ciel bleu était parsemé de nuages cotonneux. Je restais là, immobile et pensive, à le regarder. Je ne saurais dire combien de temps je suis ainsi restée. Cinq minutes ? Vingt minutes ? Je ne sais pas.

Je fis pivoter la vitre sur ses gonds et l'air frais de l'extérieur s'engouffra dans la pièce, me caressant le visage de sa brise hivernale. J'avais envie de fuir, d'enjamber la fenêtre, accéder à la petite terrasse, marcher dans la neige indemne, profiter des gazouillements des oiseaux. J'observai, répétant mon immobilité interminable. Puis je reculai brusquement, comme prise d'une puissante envie de m'évader. Je m'emparai d'un bonnet, traînant là, que j'enfonçai sur mes oreilles, d'une écharpe que j'enroulai autour de mon cou et d'un pull chaud que j'enfilai rapidement. Je décalai soigneusement les meubles situés sous l'ouverture, j'escaladai jusqu'à sa hauteur et me posai sur son rebord, refermant sa vitre derrière moi. Je m'imaginais alors descendre le mur avec des tissus comme dans les histoires qu'on me racontait lorsque j'étais petite. Ce monde, si grand, si inconnu à mes yeux, si varié avec ses multiples espèces. Je m'imaginais alors autrement, dans un monde complètement différent ; un monde où un événement de l'histoire aurait eu une fin différente entre autres.
Si Louis XVI avait résisté et avait empêché la révolution française, serions-nous toujours sous un système démocratique ?
Si l'archiduc d'Autriche, François-Ferdinand, n'avait pas été assassiné en 1914, y aurait-il eu la première guerre mondiale ?
Et comment serait le monde aujourd'hui si les nazis avaient gagné ? Serions-nous tous dans cette idéologie antisémite ? Seraient-ils maîtres du monde aux détriments des révoltes les visant ?

Au bout d'un moment, j'eus comme l'impression de me réveiller même si je ne dormais pas.
C'était insensé, ma colère était inutile. Ce monde n'est pas parfait mais mon quotidien aurait pu être bien plus dur. Rien qu'en voyant la vie des peuples dans d'autres pays, beaucoup moins aisés et en fort besoin d'aides, je me résolus. Je n'ai rien pour me plaindre : je suis éduquée, j'ai une scolarité, j'ai des droits, des libertés, j'ai des personnes autour de moi avec qui je peux partager de merveilleux moments... Je me retournai alors, toute colère envolée et remplacée par le souhait d'une vie meilleure pour toutes ces personnes qui la souhaite mais qui ne l'ont pas. Après être retournée  dans ma chambre, le bonnet repris place sur la pile de vêtements et l'écharpe regagna l'armoire.

Je revins à la fenêtre, profitai un dernier instant de l'air frais, et la refermai.

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