Le brodeur de souvenirs

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Il était une fois, une petite boutique à l'écart d'une grande ville. Dans cette boutique vivaient une vieille dame nommée Louise et un petit garçon qui n'avait jamais eu de nom. Leur travail étaient de broder pour des clients plus vaniteux les uns que les autres, voulant montrer leur richesse à travers un art qu'ils ne sauraient jamais apprécier.

Chaque matin, à l'aube, Louise et l'enfant commençaient leur travail. Ils dénouaient les fils de couleurs et nettoyer les aiguilles. Ils ouvraient les rideaux du petit atelier et nettoyer le plan de travail laissé de la veille, avant de dépoussiérer les travaux en cours. Après un morceau de pain et une gorgée de jus de pomme, les deux individus reprenaient leur besogne. Entre un portrait du roi et celui d'une duchesse, les broderies devenaient répétitives. Le petit garçon maitrisait cet art comme le plus grand des brodeurs mais restait pourtant coincé dans cet endroit oublié.

Par un jour nuageux, un nouveau client arriva dans la boutique. Il portait un bonnet et une tenue démesurée par rapport au corps que l'on pouvait deviner dessous. L'enfant l'observa, la chemise de l'homme était trop grande pour lui et était marqué par des tâches de couleurs qui se mélangeaient jusqu'à ne plus se différencier.

« Bonjour, je suis bien chez dame Louise ?

— Cet endroit n'est pas pour vous jeune homme, je vous prierai de partir pour ne pas faire fuir mes riches clients.

— Je souhaite seulement passer une commande à votre enfant. »

La vieille dame resta perplexe. L'homme avait déposé une bourse d'or sur le comptoir.

« Eh gamin ! Viens par ici ! Il y a quelqu'un pour toi ! » cria-t-elle de sa voix stridente au garçon qui se trouvait au fond de la boutique.

De ses petits pas légers, l'enfant s'approcha et salua l'homme d'un signe de tête.

« Puis-je lui parler seul à seul ? »

Sans même attendre la réponse, le garçon emmena le visiteur vers le fond de la boutique.

« J'aurais une requête pour vous, j'ai entendu dire que vous étiez un excellent brodeur. Accepteriez-vous ? L'enfant hésita un instant puis hocha de la tête. Avez-vous déjà vu le monde en dehors de cette boutique ?

Le garçon secoua la tête, intéressé.

Alors j'aimerais que vous brodiez la plus belle chose que vous pensez exister en ce monde. Je vous donnerai trois autres bourses d'or lorsque le travail sera terminé. Je reviendrai tous les mois pour évaluer votre avancée mais je ne vous donne aucune échéance. »

Le garçon écarquilla les yeux, une telle somme n'était jamais arrivée entre leurs mains et pourraient résoudre bien des problèmes dans leur quotidien. Alors il hocha fermement la tête et présenta des toiles de différentes tailles à l'homme qui choisit la plus grande de toutes.

Des semaines durant, le petits garçon resta devant sa toile vierge. Il essaya des couleurs, commença des portraits de plusieurs hommes riches et nobles lorsque l'homme revint.

« Les riches sont donc pour toi la plus belle chose ? Tiens, je te prête ce livre sur la vie des nobles de notre pays. Lis-le et réfléchis. »

L'homme repartit suite à ces propos et laissa l'enfant seul avec le livre et son travail. En une semaine, l'enfant avait fini le livre et retiré tous les fils de sa toile. Il commença alors à illustrer les grandes victoires de leur pays. Fier de la ressemblance de son travail avec la réalité, il attendit le mois suivant avec impatience.

Lorsque l'homme revint, il lui redemanda :

« Les batailles sanglantes sont donc pour toi la plus belle chose ? Tiens, je te prête ce journal intime écrit par nos ennemis lorsque nous les avons envahi. Lis-le et réfléchis. »

L'homme repartit une nouvelle fois et laissa encore l'enfant seul avec le nouveau livre et son travail.

« Si rien de ce que je connais n'est en fait beau, que pourrait l'être ? se demanda l'enfant à bout de force. C'est alors que la vieille dame entra :

— Je peux sans doute t'aider mon enfant, mais je ne peux pas te donner la solution. Ce qu'il te manque dans ce monde, c'est des mots. Alors suis moi. »

La vieille dame mena l'enfant vers la cour à l'arrière de la boutique, elle la traversa et ouvrit une porte qui donnait sur un escalier. Une fois en bas, Louise alluma une petite lampe qui illumina l'endroit. L'enfant découvrit des étagères remplies de livres de toutes sortes et de toutes tailles. Pendant les semaines qui suivirent, personne ne vit l'enfant et lorsque l'homme revint le mois suivant, la femme l'accueillit d'un ton chaleureux :

« Le petit a découvert ma bibliothèque, je crois qu'il ne ressortira pas de si tôt ! »


Une nuit, Louise se réveilla en sursaut. Des bruits inquiétant traversaient l'atelier mais il n'y avait aucun courant d'air qui aurait indiqué une fenêtre cassée.

« Qui est là ? » dit-elle en traversant prudemment le couloir.

C'est alors que le petit garçon passa la tête par le cadre de la porte et lui fit un signe de la main.

Louise soupira de soulagement et s'approcha de l'atelier. Le petit garçon était affairé sur sa toile et brodait avec une confiance et un plaisir qu'elle n'avait jamais vu chez lui auparavant. Il maniait les fils d'or, d'argent et de soie avec une telle agilité que le regarder broder devenait passionnant. Le lendemain matin, l'homme se présenta à la boutique. Le garçon l'accueillit avec une joie incomparable et le traina jusqu'à l'atelier. Là, il découvrit la toile du garçon. C'était un livre, le plus beau des livres que l'homme avait vu. Il se baissa au niveau du garçon et le fixa un instant. Il lui murmura quelque chose à l'oreille puis se releva et tendit les trois bourses d'or au garçon avant de prendre soigneusement la broderie et repartit de la boutique.

À compter de ce jour, on raconte que les clients se sont diversifiés dans la petite boutique et que beaucoup ont commencé à demander de broder des instants magiques de leur vie.

Le petit garçon du fond de la boutique était devenu le célèbre brodeur de souvenirs.

L'air frais de la rage et autres nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant