3

9 1 0
                                    


Notre groupe attend dehors les quelques retardataires. On a déjà les premières instructions, qui demandent calme et respect évidemment, mais aussi celles de Barn qui nous demande en aucun de faire de photos ou vidéos. Il nous demande donc de laisser tous nos appareils et portables dans le réfectoire. Le bus que nous prenons n'est pas le même non plus, celui qui nous a amené est reparti aussitôt qu'il nous a déposés. La visite dépend entièrement du petit monde de Barn, sans doute pour éviter tout soucis de dégradation et du "trop de gens" qu'il pourrait y avoir à force. Il explique à Mme Davis qu'il ne fait que de rares visites, et que par petits groupes tel que nous aujourd'hui. Dans ses messes basses, il ajoute qu'il ne nous a pas non plus tout dis, on n'est pas forcément obligé de tout savoir sur tout, déjà parce qu'on n'y croirait pas mais en plus on aurait honte de nos aïeuls. "Ca serait dommage qu'ils renient leurs histoire ! Ahah". Et bien sûr ça le fait rire, plus besoin de vous le préciser.

L'arrivée à la ville est étrange. Une longue route droite dont on ne voit pas la fin est bordée de chaque côté par des bâtiments de style industriel. Ces derniers sont soit de briques rouge, soit en bois. Ceux de briques n'ont pas changé, simplement vieillis, aux vitres absentes et aux toits troués. Ceux de bois sont les plus abîmés, noircis comme s'il y avait eu un incendie mais sans trace de feu, pas de vitres non plus, il ne reste que les poutres principales aux toits. Malgré la lumière qui y entre, on ne voit rien dedans, c'est plus noir que noir. On dirait qu'ici le temps s'arrête. Les devantures de magasins sont toujours remplies, on voit encore des rideaux flotter, des draps sécher. Rien n'a disparu ici, sinon les habitants. Ils semblent être partis du jour au lendemain, juste évaporés, sans avoir pris le soin de ranger, d'emmener ou de brûler leurs affaires. On les sent presque ici, comme si l'un d'entre eux venait de me frôler l'épaule. Il n'y a pas de vent, mais je sens par moment quelques mèches de mes cheveux voler sur les côtés. C'est donc ça, le côté mystique de la ville.

La voix lointaine de Barn me réveille subitement, je me rends compte que je ne vois plus mon groupe. On est arrivé à plusieurs croisements, à droite de la grande usine. Ils semblent tous être un peu plus au cœur de cette ville. Je me repère avec ses cris, je ne dois être qu'à un angle de la maison maintenant. Tiens oui, je vois le dos d'un des élèves juste devant moi. Il se retourne lentement, juste histoire de voir ce qu'il y a derrière lui.

Je m'arrête net.
Son visage n'est pas vraiment un visage. Juste deux trous noirs et une bande plâtrée qui recouvre le reste. Il me fixe. Il n'y a que la tête qui est tournée en ma direction. Le temps de cligner des yeux, il est parti.
Arrivée au fond de mon groupe, je me repasse en vue ces deux photos particulières. Ca me travaille simplement. J'ai juste associé l'un d'eux à mes camarades.
Barn s'arrête devant une maison, ce que je n'avais pas vu. J'ai dû marcher sur les pieds de quasiment tous mes camarades depuis le début de l'excursion. "Va falloir que t'arrête de regarder en l'air la muette, ça me gonfle de trébucher à cause de toi. Regarde où tu vas ! ". Déjà je suis pas muette. J'ai juste rien à dire en classe, ni à toi ni à la prof ni à tes potes. Barn soupire.

    - On arrête de parler et on m'écoute ! La maison juste derrière moi est celle dans laquelle nous sommes entrés pour la première fois. Elle est pile au centre du village, c'est celle qui reste dans le meilleur état. Nous n'avons ABSOLUMENT rien touché ni déplacé ni pris ni emprunté quoi que ce soit. Aussi je vous demande de suivre cette règle est de ne rien TOUCHER. Vous entrez par petits groupes et lorsque vous sortez je vous laisse libre champ pendant... non au pire on se rejoint devant cette maison à 16h ! Faites le tour, découvrez, apprenez, MAIS jamais vous ne touchez quoi que ce soit on est d'accord ? De toute façon je vois tout ! Aller, roulez jeunesse !


C'est assez clair pour moi. Les groupes se font. Le mien sera constitué de moi, et de moi.
La prof ne l'a pas remarqué et ça m'arrange bien. Sinon j'aurais dû rester collée à elle et à Barn toute la journée. Non merci. Je serai la dernière à entrer. J'aurais tout mon temps, pas de pollution sonore ou corporelle, et pas de murmures morts de rire. En attendant mon tour j'entends déjà Barn ajouter ce qu'il avait déjà annoncé, soit : "et surtout pas de photos, vidéos ou autre reproduction quelle qu'elle soit !...". Il continue de parler tout en s'éloignant, sa voix se fait lointaine, pour mon plus grand bonheur.

                                                                                          *  *  *

Les Bandés de Marble HillOù les histoires vivent. Découvrez maintenant