Odile

Visite

Je le secouai brutalement, dans l'espoir qu'il se relève en me disant que tout ceci n'était qu'une mauvaise blague. Il n'en fût rien. Une larme coula le long de ma joue. Pourquoi? Pourquoi lui? C'était quoi son problème, à cette statue? Tout le monde était mort, j'allais y passer aussi. Je ne voyais aucun moyen de me sortir de là. Ah mais si! Il y avait un moyen. Risqué, bien sûr, mais il fallait croire aux rumeurs. Je portais mon père et le posai délicatement sur son lit, une photo de ma mère dans la main. Je lui fis silencieusement mes adieux et me dépêchai de sortir. Une fois dehors, je traversai et sonnais à la maison d'en face. Je remarquai que l'air s'était considérablement rafraîchi. La porte s'ouvrit sur une vieille femme aux cheveux blancs qui paraissait avoir au moins soixante-quinze ans. Elle me scruta longuement et me dit d'une voix sèche et éraillée :

- Entre. Que veux-tu que je te serve? Thé? Café?

- Euh... Un thé à la menthe s'il vous plaît.

J'entrai donc dans la maison de "la sorcière", un peu nerveuse. Elle me guida dans son salon, décoré de têtes d'animaux et de portraits anciens. Elle arriva avec à la main deux tasses brûlantes, dont une qu'elle posa sur un petit napperon en dentelle blanche devant moi. Je m'en emparai mais la reposai bien vite: elle était bouillante! La sorcière émit un petit rire. Elle entama la conversation:

- Bon. Qu'est-ce qui t'amène, ma jolie?

- Eh bien, on dit que vous êtes une sorcière. Je ne sais que croire, mais mon père est mort, et je...

- Tu voudrais que je le ressuscite, c'est ça?

- Non.

- De quoi s'agit-il, alors?

- Il a été tué par une statuette, Odile.

- Odile? Ce nom me dit vaguement quelque chose... Ne bouge pas!

Elle se leva et sortit, me laissant seule avec les trophées de chasse de ses ancêtres. Elle revint, une pile de livres au moins aussi gros que des dictionnaires. Elle s'assit près de moi et commença à examiner les différents livres. Je l'interpellai:

- C'est quoi, tous ces bouquins?

- Tous ces bouquins, comme tu dis, ce sont des anciens grimoires relatant les démons de notre monde. On devrait trouver ton Odile dedans.

Je me penchais par-dessus son épaule pendant qu'elle tournait les pages de ses grimoires. Soudain, elle s'arrêta, et dit d'une voix tremblotante:

- Je... Je l'ai trouvée... C'est elle! Odile! Tiens, lis ce qui est écrit.

Elle me donna le vieux grimoire poussiéreux et je commençai ma lecture: Odile est une âme de démon  maléfique qui ne cherche qu'à combler le manque perpétuel d'âmes. Elle erre depuis déjà plusieurs millénaires sur Terre. On dit que si elle "survit" plus de trentes millions d'années, elle sera libérée du sort qui bloque la totalité de ses pouvoirs et pourra alors aspirer toutes les âmes qu'elle souhaite. Si cela arrive (nous ne le souhaitons en aucun cas), ce serait la fin du Monde. Bien sûr, le sort qui lui a été jeté par la très célèbre sorcière Minoka est quasi-invincible. Il faudrait des années, peut-être même des  siècles d'entraînement pour parvenir à  le briser. Seul l'avenir nous donnera la réponse à cette question. 

La notation s'arrêtait là. Waouh. Je venais d'apprendre plus qu'en vingt ans passés sur cette Terre. Odile, une âme démoniaque? Double waouh. La voix faiblarde de la sorcière me tira de mes pensées:

- Minoka...!

- Vous la connaissez?

- C'est ma sœur... Elle est morte il y a environ deux cents ans, en mission, une mission pour combattre un dragon qui s'était défait de ses liens, je crois...

Je manquais de m'étrangler avec mon thé. Deux cents ans? Abasourdie, je lui demandais:

- Je ne veux pas être indiscrète, mais... Quel âge avez-vous?

- Bientôt trois cents cinquante ans.

- Quoi? C'est impossible!

- Je suis une sorcière, petite sotte! Par conséquent, il m'est donc possible de vivre au moins cinq cents ans.

- Oh. D'accord, je vois... Et pour Odile, que fait-on?

- Je t'avoue que ça ne sera pas facile à faire... Tu es prête?

- Oui!

- Bien... D'après les informations que ma sœur a laissées dans son grimoire, il y a un moyen de la tuer pour de bon. Tu es réellement prête?

- Oui, et rien ne me fera changer d'avis!

- Bon. Eh bien... Il faut que tu te sacrifie si tu veux sauver la Planète.

Je la regardai. Elle plaisantait, j'espère? Apparemment, non. Sérieusement, elle voulait que je me suicide? Je lui fis face et lui dis:

- Me sacrifier? Il n'y a pas d'autres solutions?

- Malheureusement, non. À présent, c'est à toi de décider, et à toi seule. L'avenir du Monde dépend de toi.

Je déglutis et lui répondis:

- Comment faut-il faire?