- Si loin de toi -

20

Ailean resta chez Leslie et Michel le restant de la journée. Elle avait passé la fin de l'après-midi à discuter de Tom et du passé sulfureux de sa grand-mère, tout en prévoyant le retour de Florian. Michel avait démontré son mécontentement plus d'une fois par son éternelle attitude grognonne. C'était la jalousie, avait répliquée la vieille femme lorsqu'Ailean le regardait de travers par moment. Cependant, ce dernier s'était trouvé très intéressé par son petit ami. Lorsqu'ils en avaient appris davantage sur le passé de Tom, son métier, son action et, surtout, l'amour qu'il avait pour sa famille, les vieux yeux remplis de sagesse s'étaient illuminés d'une vive lumière. Michel avait alors critiqué l'attitude de Lucy sans qu'aucune ne trouvent de quoi la défendre. Ailean, parce qu'elle n'en avait pas envie, et Leslie, parce qu'elle ne connaissait que trop bien sa fille. Il lui faudrait rencontrer en vrai celui qui paraissait si parfait que cela en devenait suspect. Sans cela, sa petite fille ne serait malheureusement pas débarrassée de l'attitude poignante de sa mère.

Ailean n'eut pas envie de retourner chez elle. Ses pas la menèrent directement au lac. Elle avait besoin d'exercer un peu de son art avant l'appel avec Tom, elle ne l'avait que trop délaissé.

- Oh, Ailean, tu viens peindre ? L'interpella Willy en l'apercevant arriver de derrière les arbres.

La jeune femme sourit au garde forestier qui le devina par le plissement de ses yeux. Le vieil homme se leva de sa chaise de camping et lui lança les clés.

- Rien n'a bougé, j'y ai veillé !

- Merci, Willy.

Depuis qu'elle venait peindre ici, son admirateur secret gardait certaines de ces œuvres inachevées. C'était pour lui un privilège qu'il disait, car il était le premier à admirer les peintures ou sculptures terminées. Cela ne le dérangeait donc pas d'entreposer même celles qu'Ailean avait abandonnées. Sa cabane ne servait plus trop. En réalité, il n'y mettait les pieds que pour ranger sa chaise et son alcool à l'abris des voleurs. D'années en années, c'était devenu plus l'entre secret de la jeune artiste qu'autre chose.

- N'oublie pas le couvre-feu, Ailean, lui rappela alors Willy lorsqu'elle ressorti avec son chevalet.

- Vous vous en allez ?

- Tout le monde est à l'apéro, ricana-t-il. En plus, je reçois mon fils et mon petit-fils ce soir !

L'excitation du vieil homme était touchant à voir. Ailean l'assura qu'elle fermerait correctement et mettrait la clé comme à son habitude dans la bouche de la chouette. Le garde forestier la remercia avant de la laisser dans sa bulle. La jeune artiste y entra facilement mais pour peu de temps. L'inspiration lui manqua. Elle observa son tableau, les sourcils froncés en mordillant le bout de son pinceau. Quelque chose manquait, mais quoi ? De la lumière ? Non, au contraire, cela était trop clair. Alors de l'obscurité, songea-t-elle en approchant son pinceau du noir. Non, ce n'était pas ça, s'abstenu-t-elle. Elle soupira avant de jeter son outil loin devant-elle. Elle se releva de sa chaise, frustrée et impatiente. Pourquoi n'arrivait-elle pas à se concentrer ? Son art parvenait toujours à la couper de ses pensées. C'était cela qui l'avait fait tenir tant d'années. Or ce n'était plus le cas. La culpabilité était plus forte.

La culpabilité pourquoi au juste ? Ne pas avoir dit à Tom qu'elle avait eu envie d'embrasser Damian ? Ne pas avoir dit à Damian qu'il lui manquait ? Ou était-ce le fait qu'elle ne savait plus si c'était vraiment ce qu'elle ressentait ?

- Arrête de te torturer ! Finit-elle par grogner en balançant un autre pinceau rejoindre le précédent.

Elle serra des poings avant de soupirer à nouveau bruyamment en regardant son tableau d'un air déçu. Elle n'arriverait pas à peindre aujourd'hui. Elle regarda l'heure. C'était bientôt l'heure mais elle n'eut pas envie d'attendre. Cela était peut-être égoïste, mais Tom lui faisait du bien, elle voulait être rassurée plus tôt. Ailean laissa aussitôt l'appel avant de caler son téléphone sur son chevalet et de s'assoir sur un tronc d'arbre.