8. Sylvia

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— Ralentis, petite.

Je lève les yeux au ciel, comme à chaque fois qu'il m'appelle de cette façon, et appuie davantage sur l'accélérateur. Je ne suis pas en pleine autoroute et je risque l'accident mortel si je fais une bêtise, mais dans l'état où je suis, il me faut de l'adrénaline pour me calmer.

— Je sais ce que tu ressens, et crois-moi, ce que t'es en train de faire te mènera nulle part.

— Tu ne sais rien, grogné-je entre mes dents en évitant de justesse un petit couple qui traverse la rue en se tenant par la main.

Pathétique !

Il ne peux pas savoir.

Il ne peut pas ressentir cette déchirure campée au fond de ma cage thoracique. Il ne peut pas deviner les larmes que je m'interdis de verser, ni ce cri d'une âme meurtrie que je m'empêche de lancer.

Mon entrevue avec Duncan était trop courte. Et bien plus douloureuse que ce que je m'étais imaginée. Quand je pense qu'il m'a à peine reconnue au début. Quand je pense qu'il n'a pas été celui qui m'avait envoyé les origamis dans le but de le retrouver. Quand je pense qu'il m'a avoué, à demi-mots, qu'il m'aimait, mais que son amour pour moi serait la cause de tout ça.

Je revisualise son visage cerné, son regard dénué de tout espoir, ses mains écorchées, mutilées à force d'avoir trop lutté... ou trop tué.

Je me remémore le trajet de ses iris le long de mon corps... comme s'il se l'imaginait lui-même. Comme s'il se refusait à croire que j'étais bien là.

— Détrompe-toi, je sais, reprend Wayne avec une voix baignée d'amertume. Mais j'peux t'assurer que ta douleur est temporaire. T'as ma parole. Et la parole de Wayne vaut de l'or.

— Et les cachotteries de Wayne ?

— De quoi tu parles ?

— Les origamis, pour commencer. L'animosité de Duncan quand il a découvert qui tu étais, ensuite. Et pour finir, pourquoi quand Duncan a commencé à m'expliquer ce qu'il se passe, tu l'as empêché de continuer ?

— Je te l'ai dit, petite. Tu apprendras chaque chose en son temps. Pas la peine de t'en faire trop porter sur les épaules.

— Je ne suis pas convaincue. C'est un mensonge pour dissimuler une autre vérité. Je suis pas conne Wayne.

— J'ai jamais pensé l'inverse. T'es même un peu trop perspicace pour ton propre bien, si tu veux mon avis.

— N'essaie pas de m'endormir avec de la flatterie, ça ne marchera pas.

Le quinquagénaire ricane dans sa barbe, aussi amusé que moi irritée par cette situation. Néanmoins, ma conduite s'apaise peu à peu, bercée par le nouveau silence environnant, jusqu'au moment où nous arrivons à une rue de chez ma mère.

— Gare-toi là, je préfère que ta mère nous chope pas ensemble. Déjà qu'elle doit se demander où est passé ton chauffeur.

Je ne confirme pas les pensées des Wayne sur ma mère, bien qu'elles soient véridiques. Je stationne donc à une place libre et coupe le contact en attendant que Wayne s'extirpe du véhicule.

Mais celui-ci prend son temps.

— Tu vas faire ce qu'il t'a demandé et rentrer à L. A ?

— Il en est hors de question. On rentrera ensemble, ou rien. Et si ce fou furieux de Capo veut me tuer, qu'il essaie. Je me défendrai avec plaisir.

Wayne ne dit rien, mais il me semble déceler au creux de ses yeux une lueur de satisfaction. De fierté, même.

Au moment où il actionne l'ouverture de la portière passager, je lui pose la question qui me taraude l'esprit depuis qu'il m'a annoncé son plan :

Rapaces : Le Retour du Hibou {Tome 2}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant