Chapitre 3

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-Salut, fiston !
-Bonsoir, répondis-je, froidement.
-Alors ça va mieux ta maladie, mon fils ? 
-Ne m'appelez pas comme ça, coupais-je brusquement. 

Le volume sonore du bar baissa brusquement alors que le visage du barman se décomposait. Son poing se contracta violemment. Je pris mon tablier, indifférent à la tension ambiante. 

Je n'avais qu'un père, même s'il était six pieds sous terre.

Le barman posa une main sur mon bras.

 Je le regardai, calme; 

-Oui ? demandai-je. 
-Tu vas laisser le boulot à Antonio et dégager. 

Le dénommé Antonio, jeune homme blond aux yeux bleus presque translucides, se tenait en retrait, derrière le comptoir. 
Il m'adressa un petit signe de tête que je ne lui rendis pas. 

-Vous me renvoyez ? demandai-je, tranquille. 
-Je te mets en arrêt jusqu'à nouvel ordre. Tu ne seras pas payé. 

Oh non...

J'avais terriblement besoin d'argent; le loyer, la nourriture, mes séjours répétés à l'hôpital, tout cela n'était pas gratuit. 

-Qu'est ce que je viens de dire ? Dégage vite d'ici, siffla l'homme rougeaud. 

Sans un mot, je jetai le tablier sur le comptoir et sortis du bar en claquant la porte. 

Et voilà que je venais de perdre mon seul boulot !

Je regardai le faubourg illuminés par les faux des voitures. 
Mon regard survola alors la ville pour se poser sur la forêt qui la dominait et je me dirigeai alors vers celle-ci. 

Montant dans la pinède, je trouvai alors ce que cherchai; la petite corniche où j'aimais me rendre, qui surplombait toute la ville. 

Je posai les deux coudes sur sa barrière d'acier et enfermai mon menton entre mes mains pour mieux embrasser du regard la totalité de la ville illuminée par les lumières des voitures ou des habitations. 

Mon regard se porta sur les étoiles. 
Mon regard se posa sur l'Etoile du Berger. 

<<Grand frère, c'est quoi, les étoiles ? 
-Une étoile est une personne morte. 
-Alors Maman en est une ? 
-Oui. Tu vois celle là ? (je montre l'étoile du Berger) C'est elle. 
-Oh ! Maman ! cria Norma. 
-Maman... Maman te dit bonjour et espère que tu vas bien... 
-MAMAN TU M'ENTENDS ? hurla Norma. 
-Chut, dis-je ne m'accroupissant près d'elle. Bien sûr qu'elle t'entend. Elle te dit qu'elle t'aime...
-Maman pourquoi tu es partie ? 
-Elle dit qu'elle...(je marque une pause) Qu'elle aurait bien voulu rester plus longtemps avec toi mais qu'elle ne pouvait pas. Elle te demande pardon. 
-ça fait rien Maman ! Je t'aime !

Une larme coula sur ma joue. 

-Tu pleures, Rafaël ? 
-Je suis heureux, mentis-je. >>

<<Ta mère t'a laissé ça. 
-Alors elle s'est vraiment...(je m'arrête quelques instants) suicidée ? 
-Oui... 

Je pris la lettre que tenait mon père. 
Les doigts tremblants, je la dépliai. 

"Excuse moi, mon fils. Excuse moi.
Je suis lâche. Mais nous n'avons plus d'argent pour vous élever, toi et ta soeur. Je suis vraiment désolée. Je suis une mauvaise mère. Mais je t'aime. Oui, je t'aime et toujours je t'aimerais. Je t'aime, mon fils. J'aime Norma aussi. Et c'est pourquoi, à présent, je vais franchir la seule porte qui s'ouvre à moi.

Adieu,
Ta Maman qui t'aime."

-On a retrouvé cette lettre deux jours après sa noyade, m'informa mon père. 

Je pleurai... Mon père me prit dans ses bras; 

-Je suis là, mon fils. Je suis là... Je serai toujours là.>>

Mes pleurs redoublèrent. 

-Papa... Papa... ! Reviens, j'ai besoin de toi !...

<<"Et c'est l'Étoile du Berger,
Qui jamais ne s'arrêtera de briller,
Elle est là pour nous guider,
Et nous éclairer quand nous sommes dans l'obscurité">>

Maman... 

Pourquoi nous chantais-tu cette berceuse ? 

<<Si un jour tu doutes, mon fils, sache que le soleil est et sera toujours là. Quoi qu'il arrive. Dis toi que le monde est merveilleux et que tu dois tout faire pour le rendre encore plus merveilleux>>

-MAMAN !? POURQUOI TU M'AS DIT CA ??? POURQUOI ??? Revenez !! J'ai besoin de vous ! Vous m'avez laissé seul ! REVENEZ, JE VOUS EN PRIE !

Je m'arrêtai d'hurler, poussant des gémissement entre mes sanglots.
Pourquoi m'avait elle dit ça pour se suicider ? 
Pourquoi ? 
Perdait elle pied ? 
Aurais-je pu l'aider ? 

Je me sentis coupable. 
Coupable car je n'avais pas pu l'aider. 

Et Papa... Je n'avais pas protégé Norma, je n'avais pas respecté ma promesse. 

Je m'en voulais. 
Je regardai alors le ciel. 
Je regardai le gouffre. 
Je regardai ma vie. 

J'étais pitoyable. 

Essuyant mes larmes, je tournai les talons. 

<<Sache que le soleil est et sera toujours là>>. 
Je regardai alors l'Etoile du Berger. 

Ma voix retentit comme le chant d'un oiseau solitaire en plein hiver. Claire, inattendue: 

-"Et c'est l'Étoile du Berger,
Qui jamais ne s'arrêtera de briller,
Elle est là pour nous guider,
Et nous éclairer quand nous sommes dans l'obscurité", chantai-je. 

Je marchai. 
J'essuyai toutes mes larmes, je rangeai mon passé dans un coin de ma tête.

Mon cœur se réchauffait petit à petit. 
Je chantai, tout au long du trajet; 

-"Et c'est l'Étoile du Berger,
Qui jamais ne s'arrêtera de briller,
Elle est là pour nous guider,
Et nous éclairer quand nous sommes dans l'obscurité". 

<<Nous éclairer quand nous sommes dans l'obscurité>>

J'étais dans le noir, j'avais désespérément besoin d'une lumière.
Et cette Lumière, ne l'ai-je pas trouvée ?
Je me tournai vers l'Etoile du Berger. 

Elle continuera de briller, des millénaires après moi.
Elle continuera de briller... inlassablement. 

-Maman... murmurai-je. 

Je me mis en marche, les feuilles d'automne craquant sous mes pieds. 

-Merci, continuai-je. 

Arrivé chez moi, je fermai les volets. 

Observant l'étoile, je murmurai; 

-Oui, merci. Et bonne nuit à toi et à Norma et Papa...

Je commençai à fermer les volets. 

-...Je vous aime de tout mon cœur et vous aimerai toujours...

Le volet claqua contre la pierre du rebord la fenêtre. 

M'étirant, je me changeai et me couchai. 

Je me réveillerai à la lueur du soleil qui <<est et sera toujours là>>








L'Étoile du Berger [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant