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Je connaissais encore la route par cœur, j'aurais pu la faire sans la regarder. Nous étions venus depuis ces premières vacances, presque tous les ans. Ce n'étaient que des instants volés, de rares et brefs moments où nous semblions pouvoir devenir vrai un moment.

Nous avions sût nous trouver diraient certains, comme si sans le savoir, nos points et nos passés communs nous avaient attirés l'un vers l'autre.

Ethan avait une personnalité brillante, lumineuse, exubérante. Il était apprécié et chacun pensait le connaître, on pensait qu'il n'avait rien à cacher derrière ses beaux sourires. Pour les autres, j'étais le perturbé, j'étais le nuage devant le soleil qu'il était. Notre amitié détonnait ; le garçon étrange et solitaire, et le garçon populaire et admiré.

Ethan, par-dessous tout, était bon menteur. La preuve en était faite de sa réputation. Il était lune, et non soleil. Il présentait aux autres sa face radieuse, sa joie et son allégresse. Il m'avait présenté sa part sombre, celle qui ne voyait jamais nulle lumière. J'avais appris ses déboires, ses cicatrices, ses peurs, ses colères, ses secrets.

Sa tête dodelinait sur son épaule, je le voyais lutter pour garder les yeux ouverts. Nous traversions de petites routes de campagne inondées et ennuyeuses. La pluie s'était mise à battre le pare-brise et ne s'était plus arrêtée. Nous roulions depuis presque cinq heures, je commençais à voir la route en double. Je ralentis, fouillai les bas-côtés du regard. Il s'agita sur son siège, se redressa en baillant.

« Faut que je pisse, lâchai-je.

_ Il pleut à verse, me prévint-il.

_ Dis ça à ma vessie. »

Il pouffa quand je m'arrêtai sur le bord de la route, entre deux villages inconnus. Je ne m'éloignai pas de la voiture, ne pris pas même la peine de me cacher. La route était déserte. De ma main libre, je toquai sur la vitre de son côté qu'il baissa avec un grincement.

« Conduis, s'il te plaît. Je n'en peux plus. »

Sans me faire entendre de réponse, il sortit pour faire le tour de la voiture et prendre ma place de conducteur. Mon pull était trempé quand je remontai à mon tour.

« On est où ? demanda-t-il en redémarrant. »

Je haussai les épaules, soufflant dans mes mains frigorifiées par le vent.

« T'es dégueulasse, tu ne t'es même pas lavé les mains et tu fais ça !

_ Il pleut. Ça nettoie. »

Il ne put s'empêcher de sourire.

« On y sera dans une heure, je pense. On a pris du retard en quittant Paris. Arrête-toi quand tu vois la mer. »

Il pouffa derechef. Il conduisait moins vite que moi, connaissait sans doute moins la route. J'en profitai pour supprimer les messages que ma mère avait laissé sur ma boîte vocale pleine.

« Elle est au courant ? s'enquit-il en me jetant un regard.

_ Hum, grommelai-je.

_ Elle t'a demandé de ne pas partir ?

_ Je ne sais pas. Je ne réponds pas depuis hier. »

Nous traversâmes un village sans nom, fait de pierres grises. Un panneau précédant un rond-point indiqua L'aiguillon-Sur-Mer et un sourire un coin se dessina sur son visage.

« Ça fait combien de temps qu'on n'est pas venu ? demanda-t-il au bout de plusieurs longues minutes. »

Il suivait docilement les panneaux, nous indiquant que nous étions plus proches que je ne le pensais. Je comptai mentalement, rassemblant mes souvenirs pour les dissocier et reconnaître les plus récents. Son ventre se mit à grogner. Il rit en posant une main sur son estomac.

« Ça fait trois ans, annonçai-je. Tu étais seul pour plusieurs jours, c'était l'anniversaire de la sœur de Lola.

_ C'est vrai, se rappela-t-il. Il avait fait un froid horrible, on n'avait pas tenu dans l'eau.

_ Tu n'avais pas tenu ! corrigeai-je. Tu m'avais attendu sur la plage. »

Il hocha la tête à contrecœur.

« T'es un peu moins sensible c'est tout.

_ T'es un bébé, c'est tout. »

Pour la deuxième fois du trajet, il frappa vigoureusement ma cuisse de sa main droite. 

Le dernier arrêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant