9.

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 Nous n'étions pas même pas rentrés dans la maison. J'avais couru jusqu'au sable à peine la voiture arrêtée. Ethan avait couru derrière en hurlant mon prénom. Je m'étais laissé tombé à genoux face à la mer. Il y avait eu le silence pendant longtemps, pas même percé par le cri des mouettes qui s'étaient tues. Le vent était féroce, la plage déserte.

Il y avait eu son téléphone qui s'était mis à sonner au milieu du rien. Il s'était éloigné longtemps, sans que je ne le lâche des yeux pendant qu'il parlait. Sa main passait sans cesse dans ses cheveux, il envoyait valser des gerbes de sable du bout de son pied. Mon cœur mort se gonfla. C'était douloureux de le regarder, mais impensable de m'en détourner.

Il était revenu, le visage fermé. Il y eut encore des heures à fixer les vagues. Sans bouger. Sans parler. Sans manger. Frigorifiés. Son visage s'apaisa. Son regard vint attraper le mien. Le soleil finit par décliner dans un ciel qui se fit d'encre.

Alors il perça le silence de mon cœur dans un soupire à fendre l'âme.

« Qu'est-ce qu'on fout ici ? A presque trente ans, à se regarder dans le blanc des yeux ? »

Il se mit à bouger, frottant ses cuisses couvertes de sable. Il se leva et je le regardai d'en-bas, encore assis. Je le regardai dans le soleil tombant, dans la nuit effrayante qui menaçait de m'engloutir si je ne luttais pas.

« Je suis tombé amoureux de toi la première fois que je t'ai vu, lâchai-je.

_ Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? »

Il eut un rire froid. Un rire jaune. Un rire qui lui fit détourner les yeux de mon regard plus sincère que jamais. Alors je me relevai aussi, pour ne pas être inférieur dans mes sentiments.

« La rentrée en seconde. Tes converses jaunes et ton East pack noir. Ta veste en jean. Je suis tombé amoureux tout de suite. Le jour où on s'est embrassé, ici, sur cette même plage, le jour où tu t'es blessé, j'ai cru être le plus heureux du monde, que mon cœur allait exploser.

_ Pourquoi tu me dis ça maintenant ? murmura-t-il. »

Il se détourna et fit deux pas. Je crus qu'il allait me laisser là, encore une fois, me fuir. Mais il fit demi-tour.

« T'as pas le droit, merde ! On a nos vies ! hurla-t-il.

_ Nos vies ? Tu viens de le dire. On a presque trente ans, et à quoi ressemblent nos vies ? Tu te sens heureux toi ? Parce que moi tous les jours je me demande si ce soir je ne sauterais pas le pas pour me foutre en l'air. Me jeter du balcon ou me pendre simplement. Parce que ma vie est merdique, et la tienne aussi. Ne me dis pas le contraire.

_ Et tu attends quoi de moi exactement ? Que je quitte tout en t'avouant que je t'ai toujours aimé aussi, que je ne suis heureux qu'auprès de toi, que je voudrais t'embrasser chaque seconde et ne jamais lâcher ta main, que j'aurais voulu construire ma vie avec toi ?

_ C'est le cas ? »

Son visage se tord d'un sourire mauvais, un sourire douloureux comme s'il allait me cracher son cœur. Sa main frappe mon épaule, une fois, deux fois.

« Mais t'es con ou quoi ? Bien sûr que c'est le cas ! Je suis là, à me cailler le jonc en plein décembre, la veille de Noël, à regarder la mer parce que tu m'as supplié de t'accompagner et que j'ai accouru sans rien savoir de plus. Ma copine m'a quitté et tu sais quoi ? Je m'en fichais presque, parce que ces années de vie commune m'importent peu, parce qu'elle ne m'a jamais serré le cœur comme toi le fais, elle ne m'a jamais fait rire aux larmes, elle ne m'a jamais fait pleurer, elle ne m'a jamais ému. Mais elle est ma vie, mon quotidien, elle est la personne que ma famille accepte, celle que je peux emmener aux mariages, que je peux présenter à mes collègues, que je peux emmener aux dîners entre amis.

_ Ethan, les gens t'apprécient pour qui tu es. Et ton amour pour moi est qui tu es ! Je suis qui tu es ! Tu n'as jamais été plus sincère avec moi que personne d'autre !

_ Et c'est pour ça que je veux que rien ne change ! Je ne veux pas qu'on me connaisse pour ce que je suis, ce que je me suis tant tâché à cacher. Est-ce que tu peux comprendre ça ?

_ Non. Ethan, je ne suis plus capable. Mon père est mort et je n'aurais jamais pu lui dire ce que je brûlais de lui cracher à la gueule. Et il y a trop de choses que je n'ai jamais dit et que je ne veux plus taire. Alors je te le dis, je t'aime Ethan. Je suis amoureux de toi depuis le premier jour. Si tu ne veux pas de moi, d'accord. Mais je n'attendrais pas plus longtemps. Ta copine t'a quitté et tu t'en fous, ton père va être jugé et tu n'as besoin de personne pour construire ta vie. Tu es un adulte presque accompli. Soit, tu décides de continuer de mentir, mais l'occasion ne se présentera plus de sitôt, soit tu décides d'oser pour la première fois de ta vie.

_ Mais tu comprends pas ? T'es tout ce que j'ai. Ça fait des années que je n'ai que toi. Tu es tout mon corps, tu es tout mon cœur. Tu es mon premier et mon dernier message chaque jour, ma première et ma dernière pensée parmi toutes les autres fois dans la journée où je pense à toi. Et même pendant les repas de famille je voudrais que tu sois là, au boulot je voudrais que tu sois là, et quand je baise ma meuf je voudrais que tu sois là. Je voudrais que ce soit toi.

_ Pourquoi ...

_ Mais parce que je ferais quoi sans toi ?! Un jour, on se quittera, on se fera du mal et je serai anéanti. Et tu ne seras pas là pour m'aider pour me réconforter ! Et alors je mourrai. Parce que sans toi, je ne suis rien. Je ne peux pas te perdre Edwin, même si ça me bouffe de ne pas t'avoir, ça me bouffe le cœur, mais il t'appartient.

_ Et moi Ethan putain ?! Tu crois que ça me fait quoi quand, bourré, tu me racontes comme tu m'aimes, comme il n'y a que moi, et que le lendemain, tu fais semblant de ne pas t'en souvenir ? Quand je me souviens de notre premier et seul baiser sur cette plage ? Le seul moment où ma vie a valu le coup d'être vécue. Quand je baise des plans cul Grindr, des mecs que je ne regarde même pas et que j'appelle par ton nom ? »

Le silence me répondit. Toujours pas un bruit sur la plage, mon cœur se tut, son amour resta silencieux face à ma détresse. Son regard ne me lâcha pas, sans pouvoir me parler pourtant. Quinze ans à se regarder comme ça, à penser trop de choses pour se les dire. Être terrifiés par ces sentiments trop forts pour nous, à savoir que si la barrière de cet amour devait céder, le flot nous terrasserait.

« J'peux pas... Je ne peux pas Ethan, je n'en peux plus. On attend quoi ? D'avoir tout perdu, qu'il ne soit trop tard ? Je ne passerai pas plus de temps ainsi, je ne peux pas.

_ Qu'est-ce que tu attends de moi ?

_ Toi. »

C'était un appel désespéré, un ultimatum et je le savais. C'était un cri de mon cœur qui n'a jamais voulu que lui.

« Et qu'est-ce qu'on ferait alors ? »

Je m'approchai d'un pas devant sa mine anéantie de ce qu'il savait être vrai.

« On s'aimerait Ethan. Parce qu'on a plus quinze ans et que l'on a à avoir peur de personne. »

Il ne bougea pas, alors je fis encore un pas.

« On s'aimerait parce qu'on n'a jamais pu se résoudre à aimer quelqu'un d'autre toi et moi. »

Je pus prendre sa main, tremblante dans la mienne.

« On arrêterait de faire semblant, parce que ça fait trop longtemps. Ce soir c'est à moi que tu ferais l'amour, sans avoir à l'imaginer. »

Le dernier arrêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant