Chapitre 3: Distraction du morne quotidien

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Le lendemain après l'école, comme prévu, je me suis rendue aux toilettes des filles. Il était là, assis sur le rebord de la fenêtre, nimbé des rayons rouges du crépuscule. Il regardait dehors d'un air songeur, presque rêveur. Je m'approche, un peu gênée de le déranger dans sa réflexion, et je lui demande en me dressant sur la pointe des pieds pour bien voir dehors:

-Qu'est-ce que tu regardes comme ça?

-La lune.

-Ah, où ça?

Il pointe un doigt vers le ciel en tirant sur la manche de mon chandail pour me forcer à poser le menton sur son épaule et à bien voir ce qu'il désigne. Effectivement, la lune est déjà levée, pleine et rendue presque invisible par les rayons du soleil.

-C'est beau.

-Oui, n'est-ce pas... j'aime beaucoup la lune.

Il tourne la tête vers moi sans me laisser m'éloigner et me demande:

-Toi, tu serais prête à abandonner toutes ces belles choses que tu aimes? À moins d'avoir changé d'avis, bien sûr.

-Je... je n'ai pas changé d'avis. Et ces choses ne rendent pas heureuse, et elles ne donnent pas un but à ma vie.

-Je vois.

-Alors, tu vas exaucer mon souhait?

Il descend du cadre de la fenêtre et flotte devant moi en posant le doigt sur les lèvres dans une expression songeuse, les yeux au plafond.

-Hmm... non.

-Quoi? Mais tu m'as dit que tu...

-Je t'ai dit d'y penser et de revenir, pas que je comptais t'aider à te suicider.

À la fois furieuse et déçue, je tente de le frapper, mais il évite mon coup en s'envolant et en passant par-dessus ma tête pour se poster dans mon dos. Je pivote rapidement, de plus en plus énervée.

-Je ne ferais pas ça si j'étais toi, se contente-t-il de dire d'un air innocent, les mains repliées devant lui dans une parodie de pose fantomatique.

L'ignorant, j'esquisse une solide droite qui ne l'atteint pas. Il est sacrément rapide! J'essaie de lui offrir quelques autres coups, de plus en plus violente, mais il se contente d'esquiver au dernier moment, me laissant m'écraser contre les murs ou les portes des cabines. Après une demi-douzaine de ces coups ratés, mon poing percute fortement le miroir qui se recouvre de craquelures. Je sens la brûlure sur mes jointures, si forte que j'en oublie le fantôme qui vient tout juste de me contourner à toute vitesse. Un contact sur mon poignet me fait sursauter, mais avant que je puisse riposter de l'autre bras, Hanako les tient tous les deux, croisés devant moi alors qu'il se trouve dans mon dos.

-Ce n'est pas avec cette attitude que tu vas me convaincre de t'aider, susurre-t-il un peu arrogamment, son souffle froid de non-vivant venant chatouiller mon oreille.

Je tente de me dégager de sa poigne sans succès en demandant:

-Alors comment? Qu'est-ce que je dois faire?

-Tu vas devoir faire ce que je te dis. Je vais essayer de t'aider à sortir de ta mauvaise situation, mais il va falloir que tu collabores. Si ça ne fonctionne pas, alors là seulement je voudrai bien t'effacer de la mémoire des gens, à condition que tu veuilles toujours en finir. Mais il y a un problème avec ton souhait, et c'est la raison pour laquelle je ne pense pas que je devrais l'exaucer...

Curieuse, je cesse de résister, ce qui le permet de me relâcher et de revenir en face de moi, l'air sérieux.

-Si je te fais disparaitre, le prix juste serait ta propre mémoire. Que deviendrais-tu, seule, sans personne pour te rappeler de mourir? Vraiment, ça ne fait aucun sens. Donc je veux bien essayer de trouver un moyen de te permettre d'avoir ce que tu veux, mais avant cela, on va essayer ma façon. D'accord?

Oh. Décidément, je n'avais pas pensé à cet aspect-là. J'admets que sous cet angle, il a probablement raison. Mais j'ai déjà tout essayé, comment peut-il penser m'aider? Je n'arrive toujours pas à me faire d'amis, je suis malheureuse, le garçon que j'aime ne m'aime pas en retour et mes parents me détestent. Il n'y a pas de solution à être née dans le mauvais monde... non?

-Pour aujourd'hui, je crois que tu devrais simplement passer un peu de temps ici, loin de tout ce qui te dérange habituellement.

-Ici? Tu veux dire dans les toilettes des filles?

-Bien sûr! s'exclame-t-il avec un grand sourire plutôt adorable. Tu vas te tenir occupée et ça va te changer les idées!

-Qu'est-ce que tu me proposes?

-Eh bien...

Il pose une main derrière la tête, l'air embarrassé, et annonce:

-Ce n'est pas super pratique d'être immatériel, alors si tu veux bien faire le ménage, ça me rendrait un grand service!

Je le dévisage, incertaine de savoir s'il plaisante ou non.

-Pas question.

-Ah non? Tant pis, alors, j'imagine que tu peux dire adieu à ta petite disparition arrangée alors.

-Ok, alors! Je vais faire tout ce que tu veux! N'importe quoi! Enfin, du moment que ce n'est pas n'importe quoi.

Franchement, quel manipulateur! Bon, au moins, j'ai prétendu que j'allais faire des devoirs chez un ami, et mes parents sont trop imbus d'eux-mêmes pour remarquer que je n'ai pas d'amis, alors j'ai toute la soirée.

-Mais en quoi ça va m'aider?

-Ça va me donner le temps de te préparer un bon plan d'action pour sortir de ta situation!

Je roule les yeux, mais il me tend une serpillère d'un air ravi.

-Allez, ça va être amusant! Et puis si je ne te donne rien à faire, tu vas t'en aller, et je n'ai pas souvent de compagnie, tu sais? Ça fait du bien d'avoir quelqu'un dans le coin.

-Amusant...?

Je soupire en prenant la vadrouille et en me mettant à la tâche.

...

*clap clap clap*

-Très beau travail, (T/P)! s'exclame le garçon en applaudissant, un air stupide au visage.

-Mouais...

Je suis trempée, exténuée, et je refuse de faire le ménage une autre fois dans ma vie. Vraiment, ce fantôme...

-Tu mérites bien une petite pose! Ça te dirait de jouer aux cartes avec moi? Après ça, tu as probablement des devoirs à faire, mais ce n'est pas grave, tu les fera ici. Ensuite, je te donnerai le plan de match pour demain. Go! s'exclame-t-il en levant le poing en signe d'encouragement.

-Goooo...

J'ai sérieusement l'impression que mon âme va quitter mon corps.

Pourtant, jusqu'à ce que je retourne chez moi, je n'ai pas pensé une seule fois à mon malheur, et je ne me suis pas sentie seule une seule fois de la soirée. J'en ai même oublié de lui demander ce que je ferais le lendemain.

Histoire à choix: Deux frères, un cœur (Hanako ou Tsukasa x Reader)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant