Consternation

46 13 9
                                    


Mon héroïne, Rosalie, est anéantie. Elle a reçu la confirmation officielle de la mort de Thomas, son promis. Dans la nouvelle planche que j'ai ajoutée, guidée par son chagrin, elle s'aventure dans les quartiers mal famés, à la recherche de Jacob, cet homme qu'elle ne devrait pas fréquenter. Quand elle le trouve enfin, elle lui arrache une bouteille de rhum des mains et boit plus que ce que sa frêle constitution peut supporter. Elle est ivre.

Voilà en résumé le passage que j'ai travaillé hier, vu que Gloria a refusé que je l'aide. J'ai tenté de retranscrire l'ambiance : la sombre taverne, dangereuse et glauque, les gueules cassées. Et surtout, l'attitude indéchiffrable de Jacob face à une Rosalie vulnérable.

Toute ressemblance avec des personnes existantes est purement fortuite.

Allongée en pyjama sur le trampoline, je regarde les croquis que j'ai terminés cette nuit, un de la taverne et un autre que j'adore : Rosalie qui titube sur la plage, Jacob veillant sur elle, dans l'ombre.

Vibration de mon portable. SMS de Solal :

Empêchement cet après-midi. Peux venir maintenant.

Pas de problème. Laisse-moi le temps d'enfiler une culotte.

Ce n'est pas ce que je veux envoyer, pourtant ma main va plus vite que mon cerveau. Je suis horrifiée par le sans-gêne dont je fais preuve ! Je m'empresse de corriger le tir en m'excusant et précisant que je suis un cas désespéré, mais il est plus rapide que moi :

On est en novembre. Couvre-toi un peu plus que ça.

Il me coupe la chique, là. Est-ce que c'est de l'humour ? Oh mince ! Est-ce qu'il flirte avec moi ?

Je suis là dans 10 min

Je t'ouvre le portail (et je m'habille en entier. Je plaisantais, bien sûr)

Heureusement, il ne répond pas. Je me suis assez ridiculisée !

Une heure plus tard, Solal a bâché le sol du dressing et commencé à peindre. Moi, j'ai migré, habillée, dans la chambre et me consacre à mon illustration en cours, couchée sur le ventre sur la moquette. Il est pourtant difficile de ne pas repenser au regard scrutateur de mon voisin quand je lui ai ouvert la porte, ou au fait qu'il y a cinq minutes, il a ôté sa chemise pour se mettre en débardeur. En sourdine, j'ai mis ma playlist « tu te concentres ».

— Je peux te poser une question ? je lance en mâchouillant mon crayon.

— Non.

Je n'ai rien entendu.

— Que signifient tes tatouages en latin ?

Le rouleau arrête son mouvement de va-et-vient, puis reprend lentement, mais Solal se tait. Je poursuis :

— OK, je commence. J'ai un petit singe enroulé autour du bras droit, parce que ma mère m'appelait ouistiti quand j'étais petite.

Silence dans le dressing. Je poursuis :

— J'ai même un tatouage secret.

Liv, ta place est enfer ! D'autant que ce tatouage n'a rien d'indécent, au contraire, il est juste très personnel. Très, très personnel. J'ai envie que Solal se confie un peu à moi, mais il continue de peindre en m'ignorant. Je le rejoins dans le dressing et observe un moment ses muscles qui roulent sous sa peau tatouée. Il finit par me regarder, sérieux.

— Même s'ils sont visibles, mes tatouages sont tous secrets.

Je suppose que ça met fin à mon interrogatoire. Ce type est tellement énigmatique ! Et je suis tellement curieuse !

Never let you go (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant