Lorsque les premières vaguelettes caressent mes orteils, je recule de plusieurs pas en jurant. L'eau est glacée !
Je le savais, évidemment, on est en octobre ! Sur la plage déserte, seul un homme balade son chien au loin. Le fait que le front de mer soit vide est d'ailleurs la raison pour laquelle je fais ça aujourd'hui. Cela fait une semaine que je suis arrivée dans la résidence secondaire de mon père, mais ces derniers jours, il y avait bien trop de promeneurs. Ils m'auraient prise pour une folle ! Pas que ça me dérange, mais ils n'auraient pas pu s'empêcher d'en parler en ville. Une anecdote cocasse à raconter au bar ou au marchand de journaux.
« Vous ne savez pas ce qu'elle a fait la fille Van Dalfsen ? »
Tôt ou tard, ce serait remonté aux oreilles de mon père et alors j'aurais pu dire adieu à mes semaines de liberté. Tout serait terminé avant d'avoir commencé, alors que j'ai besoin de ce moment de répit, cette respiration avant de plonger dans le grand bain. Ces précieuses semaines d'isolement pour prouver à mon paternel, Piotr Van Dalfsen, et à moi-même sans doute, que je suis capable de mener à bien mon projet. Projet qui en est à sa conclusion, il ne me reste plus grand-chose pour y apposer le mot fin. Oui, sans ses sacro-saintes règles et la pression constante que mon père exerce sur moi, je vais prendre mon envol.
C'est presque un pacte avec le diable, mais je n'ai pas d'autre choix. OK, il n'a pas de corne ou de queue fourchue et sous son élégance tout aristocratique, il peut paraître charmant, mais il cache bien son jeu. Il est dur et exigeant.
Depuis mon plus jeune âge, il m'oblige à entrer dans un moule que j'ai pourtant brisé dès ma naissance. J'étais un nourrisson capricieux, tout l'inverse de l'adorable poupon que mon père aurait pu présenter à ses connaissances. Je détonais dans le parfait tableau que ma mère et lui composaient. Il n'y a qu'à voir les photos de l'époque : mes parents, souriants et impeccables, et moi en pleurs, rouge et aussi jolie qu'une grenade dégoupillée.
Avec le temps, et la mort de maman, je me suis évertuée à me faire oublier. C'était plus facile que de me rebeller vraiment. J'ai suivi le chemin, obéi aux ordres et, hormis quelques incartades et mon année de craquage total après le bac, je suis presque une jeune femme modèle. Oui, tout est dans le presque.
Mes dérapages ont toujours pu être rattrapés par la réputation familiale et, bon an, mal an, j'ai réussi à préserver l'image lisse et irréprochable de la parfaite héritière : études prestigieuses, voie royale vers une carrière d'avocate, cheveux brillants et sourire éclatant.
Pour le moment, l'honneur est sauf.
C'est sans doute ce qui me vaut le droit à cette ultime chance de lui montrer que ma passion n'est pas qu'un passe-temps. Il croit que je dessine pour me vider la tête de mes études de droit. De son point de vue, l'art, quel qu'il soit, est un simple exutoire.
Pour lui, les BD que je crée depuis mon plus jeune âge ont autant de valeur que les coloriages à numéros que remplit Gloria, notre gouvernante. Ma Gloria d'amour, une femme extraordinaire à la générosité sans borne, qui occupe, dans mon cœur, la place de bonne fée tout autant que de figure maternelle, mais qui n'a aucun talent artistique.
Bon, j'ai assez traîné !
Chaque minute doit être mise à profit. Si j'ai choisi de venir ici, c'est pour m'imprégner de l'ambiance bord de mer et pouvoir apporter la touche d'authenticité pour finaliser mes dessins.
Je prends une profonde inspiration, remonte mon jupon jusqu'à mes genoux et m'avance dans l'eau glacée. Les conditions climatiques sont idéales, identiques à celle de mon histoire. Un vent puissant fait battre le satin blanc de la robe de mariée contre mes jambes et entortille mes longs cheveux blonds. Le bruit des vagues qui se fracassent rugit à mes oreilles.
VOUS LISEZ
Never let you go (sous contrat d'édition)
عاطفيةDepuis qu'elle a rencontré Solal dans des circonstances pour le moins originales - lui qui essaye de la sauver d'une fausse noyade -, Liv ne peut s'empêcher de jeter des coups d'œil vers la maison voisine. Pourtant, elle a toutes les raisons de rest...