JAY - II

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« C'est le brun, là-bas. Tu le vois d'ici, nan ? »

Je croquais dans mon sandwich, à midi ; cette fois, il m'avait paru plus fade qu'à l'accoutumée. Peut-être parce que j'avais dû troquer le thon pour du poulet, peut-être parce que je m'ennuyais. Les deux, sans doute.

Je m'étais posé contre un arbre un peu en retrait, comme tous les jours, pour avoir la paix. Les autres avaient pour vive habitude de profiter du déjeuner pour retrouver leurs amis, mais je préfèrerais manger seul. L'ambiance était plus calme et je finissais plus vite. La convivialité des repas n'était pas quelque chose auquel j'étais si habitué. Je les retrouverai plus tard, je me disais à chaque fois. C'était cela.

J'avais souvent la tête dans les nuages, depuis ce matin. C'était ce que me valaient le peu d'heures de sommeil que j'avais eu pour être certain de ne pas me planter à mon évaluation de ce matin.

Bon, tout ce que j'avais lu et écrit se résumait à des hiéroglyphes, mais j'espérais quand même que ça passerait.

Plein d'appréhensions, je sortis mon sandwich de mon sac et en défis l'emballage avant de croquer dedans. Une petite dizaine de mètres plus loin se dressait une table un petit groupe de gens que je ne connaissais pas. Je devais avoir vu leur tête quelque fois, en traînant dans les couloirs, sans plus. Il y avait trop de gens, ici.

Ils fixaient des gens sur une autre table. Deux gars. De là où je me trouvais, je n'arrivais pas à comprendre ce qu'ils étaient en train de faire. Je distinguai juste quelques rires, quelques sourires. Assez pour me dire qu'ils devaient bien profiter de leur midi, et qu'ils n'avaient pas remarqué qu'on les fixait.

« Son porte-clés est beau. T'en as déjà vu un comme ça ? »

Au lieu de mettre mes écouteurs, je croquai dans mon sandwich en les écoutant.

« Pour combien tu le prends ?

- Y a pas besoin de compter, c'est facile ça. »

Je n'essayais même pas d'être discret, à les fixer sans gêne. J'avais presque oublié que j'étais assis ici pour manger. Je me demandais si je devais faire quelque chose, comme me lever et apostropher les gars en face de moi ou prévenir le petit duo plus loin. L'idée de ne pas me mêler de mes affaires me traversa aussi l'esprit. Et ce fut ce que je fis, en un sens : j'attendis. Je voulais voir ce qu'ils feraient avant de me décider à bouger.

Après avoir attaché ses longs cheveux sombres en une queue de cheval haute, une fille se leva. Elle remit en place son chemisier, défroissa sa jupe, ancra un faible sourire sur ses lèvres rosâtres et brillantes, lança un regard malicieux à ses amis et se dirigea vers leur table.

« Hoonie ! Quoi de beau ? »

Elle s'installa avec eux, et la situation ne parut pas étrange. Je fronçai les sourcils : se connaissaient-il ? Quel intérêt de voler ses connaissances ?

Après quelques dizaines de secondes, je finis par réaliser que celui qui s'appelait Hoonie n'avait pas de porte-clés dans la main. Je le remarquai dans la main du garçon avec lui : désintéressé, il regardait tantôt le ciel, tantôt son téléphone. Parfois aussi, ses yeux s'échouaient sur les arbres de la cour.

Je les fixai. J'essayais de comprendre à quelle moment elle pensait pouvoir récupérer le porte-clé. Je finis par ranger mon sandwich dans mon sac ; quitte à ne pas le finir maintenant, il valait mieux qu'il ne fusse pas attaqué par des mouches entre temps.

Et alors que je me battais avec mon film plastique et la fermeture éclair de ma sacoche, je la vis revenir à sa table initiale, s'installer après avoir fait un petit signe de main à Hoonie et son ami. Je fronçai les sourcils ; si vite ?

Hoonie discutait joyeusement. Rien ne semblait avoir changé, jusqu'à ce que je vis la jeune femme jouer aisément mais avec une certaine discrétion avec un porte-clé.

J'étais profondément confus. À quel moment l'avait-elle saisi ? Quand je galérais à ranger ma nourriture, évidement ; génial, Jay. Quel homme tu es !

Je me demandais s'il allait le remarquer. L'interpeller me traversa l'esprit, mais j'oubliai lorsque je réalisai que j'avais encore une évaluation à l'heure prochaine, et que je n'avais pas ouvert une seule fois mon cahier.

Purée.

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