« Pourquoi l'armée française va à Sarajevo, l'armée américaine au Vietnam et l'armée russe en Syrie ?
– C'est une question politique... on considère que nos intérêts ne se limitent pas à notre pays.
– C'est quoi, nos intérêts ?
– On protège les pays alliés de la France pour des questions économiques, on protège l'Union Européenne parce que ce sont nos voisins, on défend la démocratie, on lutte contre le terrorisme à son foyer.
– Comment on fait la différence entre une agression et de la défense active alors si on va faire la guerre chez eux ?
– Dans l'idéologie des terroristes, c'est notre existence même qui pose problème, pas nos actions. Nous sommes des ennemis par nature. Alors c'est vrai, aller sur le terrain nous fait remonter sur la liste des ennemis, mais cela nous permet aussi de défendre nos propres idéaux, nos alliances et nos ressources. Par ailleurs, l'armée à l'étranger ne fait pas que combattre.
– Elle sert à quoi alors ? Elle fait quoi ?
– La violence n'est jamais la première solution, et l'ingérence militaire n'est pas toujours une manœuvre très diplomatique... Alors l'armée mène souvent des actions civilo-militaires : elle s'assure que les terroristes n'ont pas le soutien de la population en aidant celle-ci et en s'assurant leur confiance, elle effectue des opérations de secourisme. Elle conseille et accompagne aussi des milices pour leur permettre de combattre eux-mêmes les menaces présentes dans leurs pays, comme dans le cas de la Task Force TAKUBA au Mali depuis l'été 2020.
– Ce sont les populations qui demandent à être formées ?
– Pas toujours.
– On les force ?
– On les incite fortement à prendre les armes et suivre les formations proposées, on ne les force jamais. S'il y a de la pression, elle vient de l'intérieur, de leur propre hiérarchie.
– D'accord... Mais si nos soldats ne font pas la guerre, ils doivent perdre l'habitude et devenir moins forts. Est-ce qu'ils ne vont pas aussi à l'étranger pour pratiquer et rester entraînés ?
– On ne s'habitue pas à la guerre. L'armée, par principe et par choix, est constituée de beaucoup de jeunes. Ceux qui partent sur les théâtres d'opérations extérieures y vont souvent une seule fois dans leur vie. La formation c'est la mise en condition avant le départ, et c'est sur le terrain, pendant l'intervention. Mais il n'est pas question de pratiquer. On ne fait pas la guerre pour rester en forme. On ne s'habitue pas à la guerre. »
Adapté du témoignage d'un officier de la marine française, ancien Polytechnicien.
* * *
« Parfois, l'armée ne combat pas. Mais pour ceux qui le font, pourquoi vous combattez à l'étranger ?
– Ça dépend de la personne à qui tu poses la question.
– Mais qui est-ce qui décide ?
– En France c'est le chef des armées, et le chef des armées c'est le président.
– Mais pourquoi il s'en mêle ? C'est pourtant loin, ça ne concerne pas son pays et la guerre fait des morts.
– Souvent, et c'est le cas en Afrique, c'est pour lutter contre les forces terroristes et pacifier le pays. Le nord du Mali est déchiré depuis la décolonisation et des groupes djihadistes y font perpétuer la violence. La France a beaucoup contribué à les affaiblir et à détruire leurs armes, leur matériel. Mais ces groupes sont autonomes et épars, et ils peuvent se reformer vite. Si l'armée française quitte le Mali maintenant, tout est perdu. Si l'on part maintenant, cinquante-trois soldats français auront perdu la vie depuis 2013 pour rien. Alors on ne peut pas.
– Ah, c'est pour ça que la France combat depuis le début...
– Non.
– Comment ça, non ?
– Ça, c'est la réponse que te donnerait le gouvernement.
– Ce n'est pas la vraie raison ? Et si je vous demande à vous, pourquoi la France combat ?
– La vérité c'est que les djihadistes ne sont pas les seuls que l'on cherche à combattre. Si le pays est déchiré, c'est parce que le gouvernement essaie d'unifier un pays dont les frontières sont héritées de la colonisation, indépendamment de la diversité ethnique, en en dépit de la volonté des populations touareg du nord du Mali. C'est de notre faute. Et si la France s'en mêle, c'est aussi pour les ressources : le Sahel est riche en or, en pétrole et en uranium. Entre empêcher les djihadistes de prendre le contrôle de ces régions et s'attirer les bonnes grâces du gouvernement pour que des entreprises comme Total ou Areva puissent s'y s'implanter, les motifs de la France sont bien plus économiques et diplomatiques que philanthropiques. Cinquante-trois soldats français ne sont pas morts pour rien. Cinquante-trois soldats français sont morts pour enrichir l'état français. »
Adapté d'un reportage de RMC découverte, datant du 30 décembre 2020, et d'une vidéo de la chaîne Youtube Le monde en cartes.
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Pourquoi je vais m'engager
No FicciónDes entretiens pour mieux comprendre ce que représente l'engagement militaire : un enfant découvre le monde en posant des questions.