𝟷 | 𝚞𝚗

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Bonne lecture !

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La fille est vraiment magnifique.

Il n'y a rien à redire : des cheveux noirs coupés au carré qui ont l'air aussi soyeux que s'ils brillaient au soleil (alors que franchement, le vieil éclairage de la boutique de Jean ne rend aucun cheveu comme ça), des yeux sombres, une peau de perle, et des sourcils fins. Jean serait sûrement tombé amoureux d'elle immédiatement, s'ils s'étaient rencontrés plus jeunes. Maintenant, il est psychologiquement trop occupé pour laisser son cœur faire n'importe quoi, et il s'est découvert un penchant plutôt majoritaire pour les torses plats et les voix un peu plus rauques pendant ses années de fac.

Alors oui, cette fille est vraiment magnifique. Malheureusement, elle fixe Jean comme si sans le savoir il a insulté sa famille sous sept générations en lui tendant un bouquet de lys (un bouquet qu'elle a demandé d'une voix presque en colère). Le règlement de la facture est rapide, sans fioriture, et finalement quand la fille part enfin, Jean ne peut que se sentir soulagé de voir sa porte se refermer.

Il soupire, débarrasse le comptoir des quelques papiers d'emballage découpés qu'il vient d'utiliser, et se tourne pour commencer à vérifier les livraisons qu'il devra faire avant d'enfin fermer la boutique. Sur son livre de compte et de rendez-vous, il remarque qu'on est jeudi, et ne peut s'empêcher de se mordre la lèvre.

Dans son dos, la clochette au-dessus de sa porte retentit et il se fige, priant mentalement pour que la fille terrifiante n'ait pas oublié quelque chose.

Mais son regard croise celui de Marco, et Jean se laisse presque tomber sur son tabouret.

— Putain, souffle-t-il.

— Moi aussi je suis ravi de te voir, Jean. Content que le sentiment soit mutuel.

Son ami s'avance dans la pièce, renifle un peu les roses en passant (comme toujours), et vient finalement s'arrêter devant le comptoir. Son sourire amusé prouve à Jean qu'il n'a apparemment pas prévu de lui laisser le contrôle de la radio, comme toujours. Depuis que sa voiture a décidé de le lâcher en faisant en sorte que les réparations lui coûtent plus cher que le prix de ce tas de ferrailles qu'il aimait pourtant, Marco le conduit tous les deux jours pour sa tournée : des particuliers parfois, et quelques entreprises et commerces qui trouvent qu'avoir un rayon avec quelques fleurs ou encore des plantes vertes fraîches dans des couloirs vaut tout l'argent qu'ils offrent à Jean.

Il ne s'en plaint pas, grand bien leur fasse.

— Alors, tu lui as dit quoi à la fille qui vient de sortir ?

— Je lui ai rien dit, du tout.

— Sérieux ? Parce qu'elle avait l'air tellement vénère que j'ai cru qu'elle avait foutre un coup de pied dans ma voiture en passant.

Jean hausse les épaules : il n'a jamais vu cette fille, et il lui a presque donné les plus beaux lys du magasin. Presque, car il garde toujours les plus belles à l'arrière, pour le vendredi.

— T'es prêt ?

— Ouais, juste un dernier truc à emballer parce que le gars m'a appelé à cinq minutes de la limite de la fin des commandes.

Marco lui tape l'épaule, comme pour lui dire « ta vie est si dure, Jean, je compatis ». Ce qui est un mensonge, bien sûr, car Marco ne compatit avec rien ni personne : l'innocence sur le visage, et une tendance à rire dans le dos de Jean avec un air diabolique.

Quand il a enfin terminé, que la voiture est chargée, que la boutique est fermée, Jean jette un coup d'œil au salon de tatouage, juste à côté. Une devanture assez sombre avec au-delà de la vitre une boule à facette qui tourne plus ou moins toute la journée sans raison. Son regard s'attarde un peu.

Marco lui demande, en mettant en route le moteur :

— Tu fais quelque chose, demain soir ?

— Oui.

— C'est faux, je le sais, et tu le sais aussi.

— Pourquoi tu demandes, alors ? Viens-en au fait.

— Ymir organise un apéritif dînatoire.

Jean tourne vers lui un regard ahuri.

— C'est.... un nom de code, n'est-ce pas ?

— Bien sûr que c'est un nom de code. Elle a décidé que ça faisait plus adulte d'appeler ça comme ça. Elle a aussi dit que dans l'idée, c'est la même chose : des petits fours et de l'alcool.

— Ouais, fin y'a souvent plus d'alcool que de petits fours. Et dans les apéritifs dînatoires, personne finit bourré sur le toit, dans la rue, dans les toilettes, ou peu importe.

— C'est ce que je lui ai dit. Plus ou moins.

— Et elle t'a répondu... ?

— Que c'était le début de la soirée qui comptait, et qu'après 20h c'était plus vraiment son problème.

Jean renifle, amusé. Rien n'est jamais le problème d'Ymir, de toute façon, à part le bien-être de Christa.

— Allez, je vais être en retard.

— T'es sûr ? Tu veux pas fixer encore un peu la devanture du tatoueur sans rien faire comme un gros trouillard ? On peut rester quelques secondes de plus, hein, ça changera rien.

Jean le fusille du regard, et si en général ça marche à peu près avec les autres (enfin, ils comprennent l'idée générale, ça ne veut pas dire qu'ils sont impressionnés) avec Marco ça produit toujours la même chose : un sourire amusé.

— Je te déteste.

— Mais oui, c'est ça.

Finalement, il se met en route.

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Des bisous !

Ain't nothin' but a heartache || EreJeanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant