La Taverne du hérisson bleu

158 15 5
                                    

Une lueur pâlotte frissonnait à travers les fenêtres givrées de la Taverne du hérisson bleu. Seuls quelques chiens errant se trouvaient encore à braver le froid dans les rues du bourg. Cet hiver était le plus rude qu’on ait connu depuis plusieurs générations. Les prêtres en disaient même qu’il annonçait la fin du monde connu au profit d’un chaos indescriptible.

Dans un coin sombre de la taverne se trouvaient deux hommes et une femme habillés de guenilles et portant vieilles besaces, couvertes de plaques de boues séchées, et bouteilles vides. Ils ne discutaient de rien depuis un moment, ce qui affolait davantage le jeune domestique à qui ses trois soudards filaient déjà une frousse terrible uniquement par leur présence.

L’un des deux hommes s’appelait « Flocon », un prénom sanguinaire dont l’origine s’est perdue à travers les temps. L’autre se faisait appeler « Taureau » par la femme qui répondait au nom de « Mystere ». C’était un trio de sombres et vieux guerriers poussiéreux, chacun disposant d’armes émoussées, encore encrassées de sang durci.

- Et dire qu’ils ont osés ! lança tristement Flocon.
- Oui, je n’aurais jamais pensé que c’eut été encore possible ! répondit hagardement Mystere.
- Mon dieu ! laissa échapper Taureau en ouvrant une nouvelle bouteille de mauvais bourbon.

Et le silence revint dans l’antre où seul l’âtre crépitant rompait la solitude du lieu. Quand soudain, une troupe joyeuse entra vivement et s’installa au bar comme s’il s’agissait d’une vieille habitude à laquelle on ne s’était plus adonnée depuis de longs mois.

- Holà tavernier ! Sers-nous de ta meilleure gnôle où mal t’en cuira ! brailla énergiquement ce qui ressemblait à un bourreau avachi par un harassant travail brassicole.
- Tout de suite mon seigneur ! répondit fébrilement notre jeune domestique.
- C’est vrai qu’on a soif et qu’on mérite au moins la moitié de ta cave ! ria l’un des comparses.
- Ho tais-toi Zacharius ! Tu sais très bien que ce ne sera pas suffisant ! répondit celui-qui ressemblait à s’y méprendre à une grenouille d’un mètre quatre-vingt de haut.
- Il est vrai que nous devons fêter dignement cette recréation fabuleuse ! poétisa un guerrier ressemblant étrangement à un ancien grec.
- Ô Sisyphe, comme tu sais bien parler et comme tu es beau ! soupirèrent ensemble les femmes de cette troupe hétéroclite.

C’est à ce moment précis qu’un poing de vingt centimètres d’envergure fendit les airs et se retrouva à percuter précisément le nez de notre gentil grec.

- Et il est beau encore comme ça maintenant ? défia un truand de deux mètres de hauteur.
- Assurément non ! répondit une jeune femme splendide habillée de cuir, un fouet à la ceinture.
- Ô, ma Kayla. Dis seulement une parole et mon cœur sera guéri ! gémit à genoux le sire Zacharius.
- Zachounet ! Tu te tapes le ridicule ! rigola un homme vêtu d’une peau de caribou. Viens que je te mette ton suppo !

C’est sur ces dernières paroles qu’un jeune homme à la splendide chemise paya une nouvelle tournée.

Bien des années plus tard, le jeune domestique comprit qu’il venait de vivre là le début d’une fantastique aventure. Il avait eu pendant un moment sous ses yeux les différents protagonistes de la tribu qu’on allait bientôt connaître sous le nom de « La Tribu de la Vachette ».

Histoires médiévalesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant