Velyna [TOME I]

Chapitre II :

Il y eut un long moment de silence, chacun dévisageant la jeune reine. Cette dernière n'était pas télépathe, mais elle comprenait ce que chacun ressentait. De l'incompréhension. De la nervosité. Du choc. Toutes ces émotions se mélangeaient entre elles, alourdissant l'environnement. C'en était déjà trop pour Velyna, alors même que personne n'avait prononcé un mot. L'odeur de sang la prit à la gorge, et elle faillit avoir un haut-le-cœur. Silvaris s'en rendit compte et ouvrit une fenêtre pour faire circuler l'air.

En bout de table se trouvait le conseiller principal Fintan, plongé dans des documents jaunis. À en juger par son expression, l'écriture azurée et l'ancienneté du papier, il devait s'agir de la procédure d'urgence en cas d'attaque. Sauf que le royaume n'était pas attaqué...

- Bien ! Maintenant que tout le monde est présent, nous pouvons commencer ! déclara Fintan d'une voix forte.

C'était bien le seul à être capable de parler aussi clairement tout en gardant les yeux rivés sur une pile de documents. Il remonta ses lunettes sur son nez et leva les visage de ses papiers, tandis que Velyna et Silvaris s'asseyaient à leurs places.

- Certains d'entre vous l'ont sans doute découvert de façon importunée, mais une nouvelle sorte de monstre a été découverte dernièrement.

Raclement de gorge général. Fintan poussa un long soupir et leva les yeux au ciel, plaquant les feuilles contre la table :

- Bon, vous l'avez pratiquement tous découvert, d'accord. Nous avons donc décidé d'ajouter leurs caractéristiques au Grand Livre, dont certaines parties se trouvent actuellement parmi nous.

Le Grand Livre. Une sorte d'encyclopédie recensant tout le savoir accumulé pendant des milliers d'années, de la fabrication du feu à la taille des ailes de dragon. Deux détails chiffonnaient Velyna. Le premier : d'où venaient ces fameux monstres ? Et le deuxième...

- Et personne n'a pensé à me consulter avant ça ?

La jeune reine était du genre à laisser totale liberté à ses sujets concernant certaines procédures. Mais en tant que souveraine, on aurait au moins pu lui en toucher un mot au passage, au lieu de l'inviter à une réunion surprise. C'était bien Fintan ça : soit prévenir tout le royaume d'une catastrophe, soit tout garder pour lui. Il n'y avait pas de demi-mesure.

- Je m'excuse, votre Altesse, soupira Fintan. Tout cela a été très rapide, et vous étiez en entraînement. J'ai jugé plus respectueux de ne vous prévenir qu'après. Je sais à quel point vous tenez à ces moments avec vos apprentis.

Quelle excuse bidon. Velyna haussa un sourcil, mais ne releva pas. On lui cachait quelque chose, c'était certain.

- Puis-je au moins obtenir une explication de la situation ?

Le conseiller pointa la reine des Dragonniens du menton :

- Je suppose que Son Altesse Faïaza est la plus à même de nous faire un rapport de la situation. Son royaume a été le premier touché, après tout.

Velyna écarquilla les yeux. Si elles n'étaient pas reines de deux royaumes différents, la fée aurait sans doute considéré la Dragonnelle comme son amie la plus proche. La souveraine à la peau rose se leva et toussota légèrement pour s'éclaircir la voix. Ses yeux étaient passés du lilas au violet aubergine. Elle était réellement terrifiée, mais pas par la situation.

C'était cruel de la part du roi Firuze de laisser son épouse partir seule à une réunion générale, alors qu'il savait pertinemment qu'elle était d'une timidité maladive et victime d'un sacré syndrome de l'imposteur.

- B-Bien ! bredouilla l'hybride. Au cours des dernières semaines, n-nous avons remarqué l'apparition de statues de granit dans les jardins du palais... Nous... Nous avons d'abord fait le tour des sculpteurs de Terre-de-Ciel pour déterminer d'où elles provenaient, m-mais nous n'avons rien trouvé de concluant...

- Nous avons également aperçu ce phénomène aux alentours de Cahaya, enchaîna un Conseiller elfique, volant au secours de la Dragonnelle. Après quelques jours, nous nous sommes rendus compte que chaque statue ressemblait trait pour trait aux membres de nos espèces respectives. Mais ce n'est pas tout...

Le regard des dirigeants elfiques s'assombrit à l'unisson quand Faïaza reprit le relais, cette fois plus confiante :

- L'un de nos sujets, en visite au palais, à reconnu son frère disparu depuis des mois parmi les statues. Et ce n'est pas le dernier à l'avoir fait.

Velyna se figea. Était-ce un sort de pierre qui avait transformé ces elfes et Dragonniens en statues ? Ou quelque chose d'autre ? Enfin, tout cela n'expliquait pas les traces de sang sur les vêtements des gouverneurs.

- Quant à ces blessures, continua Fintan, comme si il avait lu dans les pensées de la reine - ce qu'il avait probablement fait - Elles sont causées par un phénomène bien plus troublant encore.

- Des ombres, déclara une elfe. Nous nous sommes faits attaqués par des ombres sortant des statues. Et elles passent leur temps à réapparaître, c'est à n'y rien comprendre.

La jeune reine des fées était anéantie. Ce n'était pas un simple sort, c'était tout simplement de la magie noire.

- Vous avez contacté ma sœur ?

Fintan fronça les sourcils :

- Malheureusement, mademoiselle Ghame a disparu depuis quelques jours. Nous avons lancé une patrouille à sa recherche, et elle n'est toujours pas rentrée.

- J'ai toujours dit que cette gamine retomberai du côté obscur, gromella le roi des nains, Piochepierre.

- Ma sœur n'a rien à voir avec cette affaire, rétorqua Velyna. J'en suis sûre.

- Ah oui ? Votre sœur est pourtant connue comme étant bannie du trône alors qu'il s'agit de l'aînée. Elle tente probablement de retrouver ses droits en vous renversant.

~~

- Alors ? Comment s'est passée la réunion ? demanda Renlei, adossé à un arbre.

- Bof. Rien de particulier, répondit Velyna, évitant de penser au fait qu'elle avait faillit en venir aux mains avec Piochepierre avant qu'ils ne soient séparés par Silvaris.

- C'était une question réthorique. Fintan m'a mis au courant. Vous êtes de vrais gamins, tous les deux.

- C'est toi qui dit ça... Et il avait traité Ghame de traîtresse !

Renlei poussa un soupir. Piochepierre savait pourtant bien qu'il ne fallait pas insulter l'entourage de Velyna. C'était de la provocation pure et simple, mais tout de même...

- Comment va ton dos ? s'enquit le mage, histoire de changer de sujet.

- On dirait que tu parles à une vieille, grimaça la souveraine. Ça va plus ou moins. D'après Jiana, je suis sur la voie de la guérison...

- Même si tu ne voleras plus jamais, compléta Renlei, faisant une fois de plus preuve de son manque de tact exaspérant.

Velyna serra les dents et s'assit contre l'arbre où se tenait le soldat, ravalant une réplique cinglante.

Il n'y était pour rien.

Ce n'était pas de sa faute.

Il n'était juste pas là au bon moment.

Il aurait dû.

C'était son boulot.

La fée passa une main dans son dos, là où ses ailes avaient disparu depuis quelques années désormais.

Saleté de gammason.

Une voix claire interrompit ses sombres pensées. Celle de Faïaza, dont les yeux étaient redevenus bleu ciel :

- Velyna ! Renlei !

La jeune Dragonnelle était assise en tailleur sur une branche. Elle était si silencieuse que les deux fées ne l'avaient même pas remarquée. Le garçon sursauta si fort qu'il se cogna la tête contre une branche un peu basse, et la fille rose se précipita vers lui, inquiète.

- Désolée ! J'aurai dû faire attention !

- Y a pas de mal, marmonna le magicien en frottant son cuir chevelu douloureux.

Décidément, beaucoup de bâtons avaient touché son crâne, aujourd'hui.