Chapitre 2:

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-Tout se passe très bien ici, on a aucun problème, aucune raison de vous inquiéter, profitez de vos vacances, me répétait George une énième fois, visiblement fatigué de me voir insister, mais bien trop poli pour le faire remarquer. En fait, si vous voulez tout savoir, le seul vrai problème, c'est qu'en me maintenant au téléphone vous m'empêchez de faire mon travail, se permit-il d'ajouter, un sourire dans la voix.

-Je sais, pouffai-je en m'adossant au plan de travail, entortillant le fil du téléphone autour de mon index, le regard rivé sur la lumière orangée du four en marche. Elle se reflétait sur le vernis de mes chaussures, ondulant comme la flamme d'une bougie en fin de vie. Mais c'est plus fort que moi, j'ai besoin de savoir que tout se passe bien, déjà que je ne peux pas être sur place.

-Et moi je suis censé avoir interdiction de vous parler, patron, reposez-vous, je vais avoir des ennuis si vous continuez à m'appeler tous les jours, vous le savez?

-Bon, bon, je te fais confiance, cédai-je en relevant le menton pour apercevoir l'horloge à l'autre bout de la pièce, en avance de dix minutes, m'assurant de ne pas dépasser la cuisson de ma tarte. Je te rappelle qu'en fin de semaine, ça te va?

-Vous ne devriez même pas m'appeler du tout, mais c'est déjà un progrès, tempéra mon employé au bout du fil.

J'entendais derrière lui l'effervescence habituelle dans les bureaux, le passage constant, comme une petite fourmilière bien réglée en pleine action, et je ne pouvais m'empêcher de penser que maintenant que je me retrouvais là, il leur manquait leur chef d'orchestre. J'étais celui qui tenait tout en place habituellement, qui faisait rouler les écrous de l'engrenage en m'assurant qu'aucun élément extérieur ne puisse les faire dérailler, et je ne pouvais m'empêcher de me demander à chaque instant s'il serait capable de filer droit sans moi. Je leur faisais entièrement confiance, mais ils tenaient mon avenir entre leurs mains. Cette entreprise, c'était toute ma vie. Malgré tout, je savais que pendant mon absence, mon père avait fait son grand retour dans l'entreprise familiale pour tenir les rênes, George avait malgré lui craché le morceau, et ça, ça aidait beaucoup à me rassurer.

Je savais qu'avec le temps j'allais savoir décrocher, parce qu'il le fallait, et j'étais heureux de ne plus mettre les pieds au bureau, j'étais rassuré de ne plus endosser ce rôle qui me pesait tellement, mais je n'étais pas capable d'oublier que si je ne le faisais pas moi-même, il fallait bien que d'autre le fasse. Et j'avais besoin de m'assurer que les choses étaient bien faites si je voulais pouvoir profiter du bénéfice de ces vacances improvisées.

-A vendredi alors patron, et d'ici là, arrêtez de vous prendre la tête, se sentit-il obligé d'ajouter, dans un petit rire, me saluant avant de raccrocher, me laissant seul au milieu du silence assourdissant de cet immense chalet parfaitement vide.

Le vrombissement du four se répandait au rez-de-chaussée, accompagnant l'habituel cliquetis des aiguilles de l'horloge, trottant autour du cadran dans un rythme répétitif que j'avais déjà éternellement en tête au bout d'une semaine seulement. Le calme était le plus grand habitant de cette maison, presque bien avant moi, il hantait sagement les lieux, prenait toute la place, mais finalement, je devais reconnaître que j'avais fini par m'y faire. Je l'appréciais même. J'aimais qu'il n'y ait rien de plus que le son du vent lorsque je m'installais dehors sur l'un des bains de soleil, mon café me chauffant la paume de la main le matin, j'aimais m'endormir sur la musique apaisante du bois des murs qui craquent. Finalement, j'aimais ça plus que je ne l'aurais pensé.

J'avais aimé prendre la voiture ce matin pour me rendre à la petite épicerie du village, sans surveiller le temps qui passe parce que pour une fois je n'avais absolument aucun impératif de la journée. J'avais pu prendre le temps de flâner entre les rayons, écoutant les conversations animées de mes voisins d'allées sur la fête de la mirabelle prévue pour ce soir, et tout le monde avait l'air tellement impatient d'y être, que je n'avais pas pu résister. J'avais fait un saut par le rayon des fruits et avais pris assez de mirabelles pour en faire un dessert, parce que si je décidais de me rendre à cette fête de village, il était hors de question que je le fasse les mains vides.

Autre histoire - Larry (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant